Soften, le français comme une audace

Après trois albums en anglais, Soften chante désormais en français. A quelques jours du vernissage des Heures blanches à Fribourg, Nils Aellen raconte la genèse de son nouvel album entre Paris, Lausanne et Fribourg, avec son acolyte de toujours Sacha Ruffieux.

Soften02

par Christophe Dutoit

Nils Aellen est une énigme et son projet musical Soften est certainement une clé à ce mystère. Musicien hyperdoué sans vraiment être virtuose, le Veveysan a mené jusqu’ici une carrière en marge du succès populaire. En dix ans, il a signé trois disques de trip(es)-pop élégante et soignée, parfois mâtinée d’élans postrock et de ballades douces-amères. Avec son groupe à géométrie variable, il a joué dans la plupart des clubs de rock à la ronde. Ses musiques sont même parfois passées à la radio.

Les années, elles aussi, ont passé. Le jeune étudiant s’est mué en professeur de langues à temps partiel dans un collège lausannois. La musique est restée, un temps, à l’abri des lumières. Jusqu’à ce printemps, lorsque Soften a publié quatre nouveaux titres sur son site internet. En catimini et, surtout, en français. Une première pour lui. Enfin, non, une deuxième: «Lors d’une soirée délirante pour le Lôzane’s Burning en 2013, j’avais repris Nuits de folie (“Et tu danses, danses, danses”) de Début de Soirée, avec Sacha Ruffieux», plaide-t-il coupable devant un Coca et un burger-quinoa dans un petit café lausannois. «J’ai aussi chanté des chœurs sur un titre de Marc Aymon. J’avais pris pour défi de faire sonner ses mots imposés.»

Je compose tout le temps des chansons. Un moment, j’ai eu peur de toujours écrire les mêmes.

Dix ans après une première rencontre dans son Vevey natal, Nils Aellen n’a rien perdu de son entregent, ni de sa malice, ni de sa totale implication dans son projet musical. «Je compose tout le temps des chansons. Un moment, j’ai eu peur de toujours écrire les mêmes.» On n’avait à peine esquissé la première question.

«Me mettre en danger»
Comme possédé par sa musique, Nils Aellen devance LA question. «J’ai commencé à écrire en français pour échapper à une forme de routine. C’était une manière de me mettre en danger.» D’autant plus que le Vaudois n’a jamais été coutumier de la chanson française. «A l’époque, j’ai écouté les premiers albums de Florent Marchet ou d’Eiffel, Dominique A évidemment, s’excuse-t-il presque. Quand j’étais ado, j’étais fan de Cabrel – un grand mélodiste – et j’écoutais Goldman comme tout le monde. Mais ma culture musicale est clairement anglophone.» D’ailleurs, il avoue ne pas connaître Murat ni Daho, bien que certains critiques aient déniché chez lui leurs influences. «Depuis que je me suis mis en tête d’écrire en français, j’ai décidé de ne plus rien écouter. J’ai consciemment fermé les portes.»

Durant plus de deux ans, Nils Aellen compose avec frénésie. «Dans un premier temps, je chante mes mélodies en yaourt.» Puis, le jeune homme a besoin de vivre un moment avec les squelettes de ses chansons. «Parfois, le texte sort en dix minutes, comme Première neige: A la fenêtre, je suis dans le vague / Une bande-son tourne en noir et blanc / Je me souviens et puis j’élague / Dans les histoires d’avant…»

Parfois, à l’image de Couronne d’Or, certaines compositions se fondent dans le moule de la chanson française traditionnelle. «Je l’ai écrite pour me prouver que je pouvais le faire. Après, j’ai viré les autres trucs trop gentils.»Soften01

Avec l’aide de son acolyte de toujours Sacha Ruffieux et de l’ingénieur du son parisien Frédéric Jaillard, Nils Aellen décide de mixer le disque au même rythme que son enregistrement. Ensemble, ils travaillent deux semaines à Paris. «Je sais, ça fait un peu cliché…»

«On essaie tout»
A la fois producteurs et musiciens virtuoses, tous les deux jouent sur le disque. Des guitares bien sûr. «J’ai certes de l’ego, affirme Soften. Mais je sais surtout que Sacha et Fred joueront ces passages mieux que moi.» Ils jouent aussi de la basse, de la batterie, des claviers… «Avec eux, on s’était fixé une seule règle: on essaie tout. Si ce n’est pas bon, on le jette. Simplement.» A 32 ans, Nils Aellen accouche d’un disque majestueux et d’une classe à part. Sans compromis, il prend toujours plaisir à pervertir ses jolies mélodies (Depuis l’orage), à doubler ses boîtes à rythmes par un vrai batteur, à incorporer ici des accords de piano, là des machines de fin du monde.

Surtout, il signe des textes très personnels, déclinés au «je» et au «tu», au plus proche d’une autofiction ambiguë. «Le français est certainement plus subtil: pour trois mots en anglais, j’en dispose de trente en français.» Entendons-nous toutefois: Soften ne s’est pas transformé en chanteur à moustache. Sa voix n’est pas mixée au premier plan et ses musiques se taillent souvent la part du lion. «Personnellement, ça ne me gêne pas si les auditeurs ne comprennent pas tous les mots. Ils peuvent toujours lire les paroles dans le livret.»

Vernissage acoustique
«Avec mes trois premiers disques, j’aurais certainement pu davantage tourner. Mais je ne l’ai pas vraiment cherché. Je ne suis pas très rock’n’roll dans ma vie et je n’ai pas forcément envie de faire de concessions.» Une ambition de pureté qui a néanmoins propulsé son titre Aurores sur la playlist de la RTS. Une forme de reconnaissance du grand public pour le travail de Nils Aellen, qui vernira son disque ce week-end dans le studio de La Fonderie, à Fribourg, sous la forme d’un concert acoustique (entrée gratuite, sur réservations).

Soften, Les heures blanches, www.soften.ch

Fribourg, La Fonderie, dimanche 15 mai, 20 h, préécoute de l’album Les heures blanches et concert acoustique avec Sacha Ruffieux. Réservations obligatoires info@soften.ch

 

Posté le par admin dans Chanson romande, Musique Déposer votre commentaire

Ajouter un commentaire