Jean-Patrick Capdevielle: trente ans de malentendus

Star du début des années 1980, Jean-Patrick Capdevielle sort un nouvel album produit grâce à un financement participatif. Et force est de constater que le rocker vit toujours. Rencontre à Thônex (GE), samedi dernier en sortie de scène.

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A Thônex, Jean-Patrick Capdevielle a vécu «une soirée amicale plus qu’un concert» © Catherine BEUDAERT

Par Michaël Perruchoud

La silhouette est celle de 1979, à peine peut-être s’est-il voûté. L’homme qui présente son nouvel album (Bienvenue au paradis) après presque neuf ans d’absence n’a rien perdu de sa superbe. La voix n’a pas bougé, gouailleuse et tendre, elle sait conter la ville, ses impasses, et les nuits d’amour qui marquent au fer rouge. Il suffit de fermer les yeux, et ce n’est pas Thônex 2016, mais Paris 1981… A juste 70 ans, Jean-Patrick Capdevielle est encore furieusement lui-même… Et c’est bien ce que le monde de la musique lui a toujours reproché.cover-capdevielle

Capdevielle déguste un verre de champagne, serre des mains – «ce soir, c’est plus une rencontre amicale qu’un concert» – et nous ramène aux sources du malentendu, de cette carrière conçue comme un accident. «Dans les années 1960 et 1970, je vivais en Angleterre, en Espagne, je voyageais aux Etats-Unis… La France, je trouvais ça franchement plouc.» Capdevielle évoque cette existence d’avant, l’époque nonchalante et intense où il croise les Stones, Jimi Hendrix et devient l’ami d’Eric Clapton. Le monde artistique, il le fréquente alors sans penser à s’y faire une place.

A Ibiza, où il se ressource, il compose bien quelques morceaux, s’essaie surtout à la peinture… En 1979, après un pre­mier 45 tours remarqué, il envoie à CBS les maquettes d’un album imparable Les enfants des ténèbres et les anges de la rue.

Quand j’entends la musique que des soi-disant spécialistes encensent, quand je vois les commentaires ou plutôt l’absence de commentaires sur mon travail, je me dis simplement qu’ils se trompent.

Splendeurs à foison
Des chansons imagées comme des films de série B, presque palpables, des ambiances poisseuses, entre petites frappes, quartiers périphériques et amours impossibles: il y a dans ce coup d’essai des splendeurs à foison. Elle est comme personneSalomé ou Les bruits de la nuit, témoignent de l’écriture originale et du talent de mélodiste de Capdevielle. Et pourtant, l’album se résumera pour beaucoup à un tube: Quand t’es dans le désert. Une chanson qui n’aurait même pas dû exister.

«J’allais prendre l’avion pour le studio à Londres, et j’écoute le nouveau disque de Cabrel. Je me rends compte alors qu’une de mes chansons est basée sur une mélodie quasi similaire à Je l’aime à mourir. Pas le choix. Je dois la mettre à la poubelle… Et la remplacer, parce que je me vois mal proposer un album de sept chansons. Quand t’es dans le désert, je l’ai écrite ainsi, par nécessité, d’un jet. Je ne l’aimais pas, je ne voulais pas l’enregistrer. Ce sont les musiciens qui m’ont convaincu. Et il a fallu encore me pousser pour que je consente à la mettre sur l’album.»

Entre Dalida et Sheila
Quand t’es dans le désert sort alors en face B du 45 tours, mais ne tarde pas à squatter les hit-parades, et Capdevielle expérimente la phase 2 du malentendu. «Le succès m’a dépassé. On m’a mis à toutes les sauces, sans très bien comprendre ce que je faisais. Il m’est arrivé de chanter entre Dalida et Sheila… Je n’ai rien contre elles, mais j’en suis vite arrivé à me demander ce que je foutais là.»

Le cirque médiatique se révèle pesant, les références plus encore. Capdevielle n’en peut plus du «nouveau Dylan», du «Springsteen français» dont on l’abreuve. «Si j’ai un orgueil, c’est bien celui de faire ma musique. J’ai mon propre univers. Qui ne ressemble à aucun autre.»

«Fier de ce que je fais»
Il le prouve avec En-dessous du pont, Barcelone ou Le long de la jetée, quand la chanson prend des allures de long métrage. Mais alors que l’artiste cisèle ses meilleurs titres, le succès se détourne déjà. Parce que les indomptables ne font pas long feu dans l’industrie musicale et que Capdevielle ne supporte plus le rôle qu’on veut lui faire jouer. Dès lors, les critiques le flinguent, les radios le snobent… Et, pour ne rien arranger, l’inspiration se perd un peu. Le voilà un peu vite rangé au rayon des infréquentables, pire, des has-been.JPC_CBEUDAERT 2015

«Quand j’entends la musique que des soi-disant spécialistes encensent, quand je vois les commentaires, ou plutôt l’absence de commentaires, sur mon travail, je me dis simplement qu’ils se trompent…» C’est un constat sans aigreur.

Capdevielle continue sa route, laissant au passage quelques albums forts honorables. «Je suis fier de ce que je fais, mais je n’ai pas besoin de la musique pour vivre.» Et, ce disant, il évoque le versant matériel, mais également la famille, et son quatrième fils, onze ans, avec lequel il ne veut pas perdre une parcelle de temps.

Du jus et de la verve
Avec Bienvenue au paradis, Capdevielle va au bout de sa démarche de liberté. L’album est financé sur le principe du crowdfunding. Les aficionados répondent présents, la plus grande partie de la somme est réunie en quelques heures. Mais la manière, certes originale, ne doit pas occulter le contenu de cette nouvelle production. Car, contrairement à Renaud, porté par une sorte de charité populaire alors que ses chansons frôlent le pathétique, Capdevielle a encore du jus et de la verve.

Dans Bienvenue au paradis, on s’attarde notamment sur Un jour, je serai vivant ou encore Jour de pluie où il chante, refrain autobiographique et subtil, que «personne n’rêve de faire que c’qui est permis». Et l’on se dit que, tant pour sa contribution au rock français que pour la qualité des présents morceaux, Capdevielle mériterait un tout autre écho. Malentendu, encore et toujours.

Jean-Patrick Capdevielle, Bienvenue au paradis, autoproduit

Posté le par Eric dans Chanson française, Musique 7 Commentaire

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