Médiathèque-Valais Martigny: la montagne en questions

Ce jeudi soir, la Médiathèque Valais à Martigny vernit l’exposition En terrain sensible. Cet accrochage met en valeur les regards de sept photographes sur le thème de la montagne, face aux enjeux actuels du développement durable.

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par Christophe Dutoit

«L’art peut lancer des conversations, porter des sujets sur la place publique, mettre en lumière des abus et orienter vers de nouveaux mondes. Il touche les gens d’une manière plus profonde que le discours académique et politique, il nous émeut aux larmes, nous fait rire et nous pousse à l’action.» Ce plaidoyer – extrait d’un discours de la chanteuse penjabi-pashtoune Deeyah Khan – est au cœur de l’exposition En terrain sensible, visible dès aujourd’hui et jusqu’au 24 avril à la Médiathèque Valais à Martigny.

Sur près de 800 m2, sept photographes exposent leur regard des montagnes valaisannes sous divers angles liés au développement durable: les changements climatiques, les ressources en eau, la sécurité alimentaire et la migration. Des travaux qui participent au programme SMArt lancé en 2014 et mis en perspective en face d’images et de sons d’archives tirés des fonds de la Médiathèque.bardarch

D’origine mongole, Maralgua Badarch a photographié la terrifiante beauté des sommets valaisans et de ses glaciers d’un turquoise cristallin. Le tandem Cyril Ndegeya (Rwanda) et Fabrice Erba (Suisse) a suivi le parcours invisible de l’eau au fil du Rhône, alors que Laurence Piaget (Suisse) a photographié les bâches qui recouvrent le glacier du Rhône, entre «fascination morbide» – selon Sylvie Délèze, directrice des lieux – et référence à Christo. Des images à leur tour tirées sur des bâches…

Chalets aux volets fermés
Deux photographes péruviens montrent également leur regard sur le Valais. Luana Letts présente une fresque patchwork de chalets aux volets fermés. «A son arrivée en Suisse, elle a été choquée de voir autant de maisons inhabitées une bonne partie de l’année, alors que, dans son pays, il faut se battre pour trouver un logement», explique Alexia Rey, coordinatrice de l’exposition. L’artiste expose également des tirages où elle découpe ici la forme d’un barrage, là celle d’un paravalanche, en référence à l’art traditionnel du papier découpé. A ses côtés, Alejandro León Cannock dévoile plusieurs séries en relation avec la fonte des glaciers et le concept de la moraine. Philosophe de formation, il développe un discours intellectuel très construit doublé d’impressionnants tirages de cailloux mis en scène comme des natures mortes ultracolorées.piaget

Enfin et non des moindres, le photographe suisse Niels Ackermann montre un impressionnant reportage sur la ville d’Huaraz, au Pérou. Cette bourgade andine de 150000 habitants vit sous la menace d’un lac qui pourrait provoquer une coulée de boue meurtrière, comme lors de la catastrophe de 1941, où 5000 personnes ont perdu la vie. Ses images, justement primées à plusieurs reprises, évoquent ce malaise palpable, avec une pertinence et une esthétique d’une grande classe.

Martigny, Médiathèque, jusqu’au 24 avril, tous les jours, 13 h-18 h, www.mediatheque.ch

En terrain sensible, catalogue de l’exposition, disponible à la Médiathèque Valais – Martigny

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Des artistes en résidence

Depuis de nombreuses années, le canton du Valais accueille sur ses terres des artistes étrangers. Plusieurs participants à l’exposition En terrain sensible étaient d’ailleurs basés à Monthey, à Sierre et à Bellwald, trois communes qui mettent à disposition des résidences d’artistes. Initiés par la Fer­me-Asile de Sion il y a une vingtaine d’années, ces ateliers «permettent autant l’échange avec des artistes locaux que l’apport de regards nouveaux sur notre réalité», se réjouit Jacques Cordonnier, chef du Service de la culture du Valais. Telle cette anecdote, relatée mardi lors de la présentation à la presse. A son arrivée en Suisse, le Rwandais Cyril Ndegeya remarqua qu’il y avait des habitations sur la montagne, à Villars-sur-Ollon par exemple. «Je suis triste pour les gens qui sont obligés de vivre là-haut, ils doivent être très pauvres…» Son travail a d’ailleurs porté sur les ressources en eau, une évidence pour nous, mais un combat de tous les jours en Afrique.letts

Pendant leur séjour, qui peut durer de trois à six mois, les artistes invités disposent d’un logement, d’un atelier et d’un montant de 1500 francs par mois. «En contrepartie, ils s’engagent à montrer leurs travaux à l’issue de leur passage en Valais, détaille Jacques Cordonnier. En outre, on leur demande de participer à des conférences et d’aller dans les écoles pour parler de leur expérience.» Lorsqu’elle a lancé en 2014 son programme SMArt – pour Sustainable Mountain Art – la Fondation pour le développement durable des régions de montagne (FDDM), établie à Sion, a fait appel à quatre artistes étrangers qui ont participé à ces résidences. Dans le but de «constituer le patrimoine visuel de demain», les organisateurs leur ont demandé de poser leur regard sur ces enjeux durables. «Avec ce projet, nous cherchons à atteindre des publics différents, explique Eric Nanchen, directeur de la FDDM. Nous présentons ces photographies dans des grandes conférences climatiques, comme récemment lors de la COP21.»leon

«S’adresser à nos émotions»
«L’art doit permettre d’ouvrir le débat sur la fragilité de nos zones de montagne, explique le conseiller culturel Axel Roduit. Jusqu’à présent, les scientifiques se sont adressés à notre raison. Aux artistes maintenant de s’adresser à nos émotions et de provoquer davantage que des haussements de sourcils.» Visible à Martigny jusqu’au 24 avril, En terrain sensible est à la fois un aboutissement et un nouveau départ. Douze artistes internationaux viendront en Valais ces quatre prochaines années pour poursuivre ce dialogue artistique. Un dialogue interculturel que le canton de Fribourg – et la Gruyère en particulier – devrait prendre l’initiative de susciter via ce genre de résidences. Un jour peut-être…

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