Delerm, Cherhal, Didier: trois voix, deux pianos et une rencontre

C’est un concert inédit et la réunion de trois univers marquants de la chanson française: Vincent Delerm, Jeanne Cherhal et Romain Didier se partagent la scène, ce 5 février à La Tour-de-Trême.

Concert CO2©C.Lambert

Romain Didier, Jeanne Cherhal, Vincent Delerm ©Chloé Lambert

par Eric Bulliard
Trois chanteurs, deux pianos et des univers qui se rencontrent pour la première fois: à l’initiative de Dominique Rime, programmateur de la saison culturelle de CO2, Vincent Delerm, Jeanne Cherhal et Romain Didier montent ensemble sur scène pour trois concerts, dont celui de demain à La Tour-de-Trême.
Interview au débotté, à Lausanne, à la descente du train. Le temps de trouver place dans un café, de prendre quelques photos et de revenir sur la genèse de ce projet.

Jeanne Cherhal: Au départ, c’est une volonté de Dominique Rime, qui nous connaît tous les trois. Nous sachant pianistes et partageurs, il a eu la bonne idée de nous réunir. Ça nous a séduits et nous voilà!
Vincent Delerm: C’est marrant parce que j’ai beaucoup joué avec Jeanne, on a commencé ensemble et, d’un autre côté, j’ai une histoire avec Romain, pour l’avoir beaucoup écouté adolescent. Du coup, c’était cohérent, logique et joyeux à faire ensemble.

Comment le spectacle s’est-il mis en place?
Romain Didier: La base, c’est les chansons de chacun. On leur fait confiance et ensuite, on voit ce qui peut se suivre, se superposer. Je connaissais Jeanne et Vincent par leurs disques, mais nous n’avions jamais travaillé ensemble. Pour moi, c’est une jolie gourmandise et ce n’est que du bonheur. Nos trois univers autour du piano se complètent et se répondent. La magie du spectacle permet de les partager.

Concert CO2©C.Lambert

©C.Lambert

Comment s’est effectué le choix des titres que vous allez interpréter?
V.D.: Nous avons échangé sur les chansons des autres que nous connaissions, celles que nous pourrions éventuellement chanter à deux ou les six, sept, huit que chacun avait envie de jouer. L’intéressant, c’est que nous avons tous les trois l’habitude de faire du piano-voix: nous connaissons cette dynamique. Il y a des chansons que l’on ne peut faire que parce qu’elles sont protégées par celles d’avant et d’autres qui sont un peu plus tout-terrain, qui peuvent entrer dans une soirée comme celle-ci.

J.C.: L’idée de départ, c’était aussi qu’il y ait deux pianos sur scène. C’est assez exceptionnel. En tout cas, moi, je ne l’ai jamais fait. C’était l’occasion de mettre en avant l’instrument qu’on adore et de profiter pour proposer des arrangements différents.

V.D.: Nous avons voulu garder une légèreté, pour que ça ressemble à une soirée avec des gens qui aiment bien la chanson. Donc quelque chose d’assez simple, même si, évidemment, on a cherché deux trois astuces pour que les choses s’enchaînent.

Après ces trois concerts en Suisse, imaginez-vous que ce projet puisse se poursuivre?
V.D.: Non… après, on ne se revoit plus jamais!

J.C.: On n’en a pas parlé, mais si ça se trouve, on ne pourra plus s’en passer! Déjà, c’est super de pouvoir décliner ça trois soirs d’affilée. Souvent, pour ce genre de rencontre, on fait une date et c’est terminé. Là, Bulle, ça sera la troisième, donc on devrait être rodés!

R.D.: On va être à fond! En tout cas, l’idée c’est d’abord de se faire plaisir. Le travail des autres vous nourrit et c’est ce qui fait du bien dans ce genre de rencontre. Non pas de se confronter, mais de se mélanger aux autres.

Romain Didier: « Quand on fait du piano-voix, on ne le fait pas par défaut ni par manque de moyens, mais par envie. Pour moi, le piano-voix, c’est le fusain ou le crayon par rapport à la peinture. On va à l’essentiel, c’est le plaisir de la ligne droite. On ne peut pas tricher, c’est un jeu de la vérité. »

Jeanne Cherhal et Vincent Delerm, vous ne connaissiez pas Romain Didier…
J.C.: On se connaissait musicalement, mais bizarrement, on ne s’était jamais rencontrés…

V.D.: Souvent, ce sont des hasards: il y a des gens dont tu te sens assez éloigné, mais tu les connais parce que tu as sorti trois fois un disque à la même date et tu les as vus en promo. Et d’autres dont tu te sens très proche et que tu n’as jamais rencontrés. J’avais ça avec Romain et deux ou trois autres chanteurs: je me dis que c’est incroyable, je le connais depuis toujours et on ne s’est jamais croisés.

R.D.: Oui, dans la chanson, il y a plein de petites planètes, qui ne demandent qu’à être réunies. Il faut des hasards ou des volontés comme celle de Dominique, pour se rendre compte qu’on fait partie de la même famille.

Vous disiez que Romain Didier a constitué une référence importante…
V.D.: Mon père avait acheté une cassette que j’ai écoutée tout un été. C’était un concert, qui commençait avec le public tranquille et comme j’avais un autoreverse, je passais directement sur la fin du spectacle, je comparais avec les applaudissements du début et je me disais: «C’est un supermétier, parce que tu transformes les gens!»

Au-delà de ça, j’ai été très attiré par Julie La Loire qui parlait d’un amour adolescent. J’étais aussi fasciné par des chansons qui n’étaient pas de mon âge comme La retraite, Vie de femme, Chinamour, Entre elle et moi, qui créaient une sorte de panorama de la vie d’adulte. Il fait partie des gens qui m’ont donné envie d’apprendre le piano avec d’autres, comme William Sheller ou Barbara. Dans le spectacle, il reprend une de mes chansons. Ça m’a fait énormément plaisir et en même temps, ça m’a semblé très naturel.

Et pour vous, Jeanne Cherhal, que représentait Romain Didier?
J.C.: En fait, je n’avais pas eu la porte d’entrée: je connaissais très peu son répertoire, mais je connaissais bien son travail avec Allain Leprest. Ce qui me fascine chez Romain, c’est sa virtuosité pianistique. J’ai appris tout à l’heure qu’il est autodidacte… Mais il a une dextérité, un sens mélodique, un sens de l’accompagnement très poussés. On a répété il y a dix jours et j’étais vraiment impressionnée d’être au pied du piano et de voir comment ça se tricotait.

V.D.: On n’en mène pas large, à côté!

R.D.: Quand on fait du piano-voix, on ne le fait pas par défaut ni par manque de moyens, mais par envie. Pour moi, le piano-voix, c’est le fusain ou le crayon par rapport à la peinture. On va à l’essentiel, c’est le plaisir de la ligne droite. On ne peut pas tricher, c’est un jeu de la vérité. J’ai donc beaucoup de respect pour les gens qui font ça.

En plus, la chanson, c’est le porte-parole des gens qui n’ont pas les moyens de le dire eux-mêmes. Chaque fois qu’une chanson devient universelle, c’est parce que les bons mots et la bonne musique ont été trouvés pour dire exactement les choses. Et les chansons de Jeanne et Vincent, c’est ça. Souvent, je me dis: «Celle-ci, j’aurais aimé l’écrire.»

La Tour-de-Trême, salle CO2, vendredi 5 février, 20 h. Réservations: Office du tourisme de Bulle, 026 913 15 46, www.labilletterie.ch

 

«C’est juste génial…»
Echange de politesses: Vincent Delerm, Jeanne Cherhal et Romain Didier se disent ravis de travailler ensemble et remercient pour cette initiative Dominique Rime, responsable de la saison culturelle de CO2. Qui, de son côté, souligne: «Pour un programmateur, c’est juste génial d’avoir des gens que tu appelles pour proposer un projet inédit, qui acceptent et prennent du plaisir.» Les trois chanteurs et pianistes se retrouvent pour trois concerts, au Crochetan de Monthey (le 3 février), à Beausobre (Morges, le jeudi 4) et donc à CO2 ce vendredi 5.

Même si chacun a un univers bien à lui, une certaine conception de la chanson et de leur métier unit ces trois artistes. Une honnêteté dans la démarche qui leur permet, à défaut d’énormes tubes, d’avoir écrit des chansons importantes. De ces titres qui ne suivent pas forcément l’air du temps, mais qui peuvent traverser les époques.

Romain Didier s’est fait remarquer dès le début des années 1980 avec des chansons comme Amnésie, L’aéroport de Fiumicino, Señor ou señorita. Sa riche discographie est ensuite marquée par la rencontre avec Allain Leprest, complice de chansons inoubliables comme La retraite, Où vont les chevaux quand ils dorment? et tant d’autres.

Jeanne Cherhal et Vincent Delerm, eux, font partie de la même génération de chanteurs apparus au début des années 2000. Points communs: un sens de l’observation aiguisé, une douce ironie, une écriture raffinée, une aisance en scène… Tous deux ont sorti cinq albums: le dernier de Cherhal, Histoire de J., est paru en 2014, celui de Delerm, Les amants parallèles, en 2013.

 

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