Sacha Love: «Etre le meilleur moi-même au monde»

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Sur scène, on l’appelle Sacha Love. Sans doute en référence aux Beatles. En coulisses, Sacha Ruffieux est l’un des musiciens les plus respectés à Fribourg. Rencontre, en aparté du concert qu’il donne vendredi à Nuithonie.

par Christophe Dutoit

Un truc infaillible pour reconnaître Sache Love: il porte des Ray-Ban bleu ciel. Et parfois un costume de tigre, mais c’est une autre histoire. Et si vous ne le connaissez pas, sachez que Sacha Ruffieux est connu comme le loup blanc dans le monde de la musique.

A l’âge de six ans, le gamin de Villars-sur-Glâne est fasciné par l’accordéon. «J’en voulais un à paillettes, mais j’ai dû me contenter d’un noir.» Il avoue n’avoir pas été très assidu dans son apprentissage. «Je n’étais pas très bon.» La rigidité de l’enseignement a failli le dégoûter irrémédiablement de la musique. «Mon professeur n’est jamais parvenu à intégrer la notion de plaisir. Moi, je voulais jouer pour le fun.»

Ras le bol de la boule au ventre à chaque répétition. A l’âge de 12 ans, il abandonne la musique et ne touche plus un instrument pendant cinq ans. «Puis, j’ai voulu devenir guitariste. Car ils ont toujours l’air contents.»

J’assume d’aimer Clapton ou Knopfler depuis longtemps.

Bachelier en section latin à Sainte-Croix, Sacha Ruffieux joue de la guitare matin, midi et soir. «J’étais comme obsédé. A tel point qu’un de mes profs a proposé à mes parents de me con-fisquer ma guitare quelques semaines avant les examens finals. Ils savaient bien que c’était impossible. Mais j’ai eu mon bac, c’était le deal…»

Durant toute cette période, il apprend en autodidacte. Avec les disques de ses idoles: le double blanc des Beatles, puis aux sources du blues avec Muddy Waters, John Mayall ou Cream, avant de revenir à Jeff Beck, évidemment à Jimi Hendrix, aux premiers Dire Straits, aux vieux Pink Floyd. «J’assume d’aimer Clapton ou Knopfler depuis longtemps.»

Surtout, le jeune homme développe son propre jeu. «J’ai toujours essayé d’être le meilleur dans ce que je sais faire. Aujourd’hui, je bosse toujours pour être le meilleur moi-même au monde.»

Sauvagerie maîtrisée
«Adolescent, si je m’étais davantage intéressé aux filles, j’aurais eu moins de temps pour jouer de la guitare.» Il adopte la Stratocaster de ses maîtres, montée avec des cordes de bûcheron tendues comme une midinette avant son premier rendez-vous galant. «J’ai developpé mon propre jeu.» Il impose un long silence. «J’ai appris à désapprendre. J’ai amassé beaucoup de vocabulaire pour mieux l’oublier. Je suis sans doute moins sage à 40 ans que je ne l’étais à 20. Aujourd’hui, ma sauvagerie est mieux maîtrisée. Ce n’est pas si facile d’avoir un son crade sans faire n’importe quoi.»

Je suis comme Gaston Lagaffe. J’ai passé tellement d’années à faire croire que je savais jouer un peu, que, finalement, je sais un peu jouer.

Assagi, le tigre? Non, pas encore. Mais boulimique, certainement. A l’image de sa découverte récente de la guitare folk. «Je suis comme Gaston Lagaffe. J’ai passé tellement d’années à faire croire que je savais jouer un peu, que, finalement, je sais un peu jouer.» Un peu?sachalunette

A 20 ans, Sacha Ruffieux hésite à étudier la philo à l’uni. «Un jour, peut-être.» Le soir, il joue avec Silicone Carnet. «En 1994, Ebullition cherchait des sondiers. J’ai été embarqué dans ce monde qui m’a vite plu.» Puis il est engagé comme stagiaire à Fri-Son. Deux ans plus tard, il s’embête à l’EJMA de Lausanne et décide d’étudier dans une école à Londres. «J’y ai rencontré des professeurs excentriques.» Une période formidable.

A l’époque, on a fait la tournée anglaise de The Commitments, qui venaient de faire le film d’Alan Parker. Eux voyageaient en tour bus, nous avec trois Ford Fiesta. Mais c’était vraiment cool!

Après un stage où il est traité comme un sous-fifre, il répond à une annonce dans le Melody Maker. «J’étais le 49e gars qu’ils auditionnaient. Quand ils m’ont proposé de jammer, je leur ai demandé pourquoi on ne jouait pas leurs morceaux. Ils étaient étonnés, car j’étais le premier candidat à les avoir bossés. Finalement, j’ai intégré Fluid. A l’époque, on a fait la tournée anglaise de The Commitments, qui venaient de faire le film d’Alan Parker. Eux voyageaient en tour bus, nous avec trois Ford Fiesta. Mais c’était vraiment cool!»

A l’époque, Sacha hésite à s’établir à Londres. «Pas facile de vivre toujours fauché dans une grande ville. C’était avant les bilatérales. En plus, les gens étaient plus intéressés par le fric que par la musique.» Limite déprimé, il rentre au bercail.sachadeux

«Mais j’ai appris que j’aimais la musique. Là-bas, quand on joue fort dans un pub, personne ne râle. C’est dans leur culture. J’ai aussi appris que lorsqu’un musicien monte sur scène, il doit être bon. En Suisse, on a le confort pour être créatif. On n’a pas de souci pour payer notre loyer.» Sacha sait qu’il sera professionnel.

De retour en Suisse, il trouve de l’embauche dans divers festivals, mixe pour divers groupes et participe, en 1998, à l’incroyable aventure de Skirt, ces quatre Bulloises qui ravivent la flamme rock en Romandie.

Côté obscur de la console
En 2000, il ouvre sa Couveuse digitale à la route de la Fonderie, à Fribourg. «Je pensais travailler dans la postproduction de cinéma, mais j’ai rapidement fait du son pour plein de groupes.» Du coup, il passe quelques années du côté obscur de la console. «Je me suis remis à jouer à fond avec Gustav en 2006. J’ai toujours joué de la guitare. Tous les jours.»

J’ai fait beaucoup de sacrifices dans ma vie et je veux garder l’illusion de faire ce que je veux. De toute manière, je n’ai pas le choix. Je dois faire de la musique. C’est vital.

Au quotidien, le quadragénaire collabore avec sept à huit projets en parallèle. «Ça représente un répertoire important. Mais ça se travaille et après quelques concerts, les morceaux sont imprimés.» La veille de son concert à Nuithonie, Sacha Love est comblé. «Certains ont l’illusion de la réussite sociale parce qu’ils roulent en voiture neuve. La mienne est d’occasion et mon loyer n’est pas cher. Je n’échangerai pas ça contre mon indépendance. J’ai fait beaucoup de sacrifices dans ma vie et je veux garder l’illusion de faire ce que je veux. De toute manière, je n’ai pas le choix. Je dois faire de la musique. C’est vital.»

Tout en causant, Sacha Ruffieux accorde Whitie, sa nouvelle Strat vintage. Un riff vaut mieux que mille mots. La répétition commence. Sacha Love branche son ampli. Même sans son costume, le tigre est prêt à rugir.

Blues vaudou
à La Nouvelle-Orléans

Après avoir accompagné Kassette à Los Angeles en 2011, Sacha Ruffieux traverse une partie des Etats-Unis avec Marc Aymon l’année suivante. A Nashville, il enregistre avec Chad Cromwell, batteur de Neil Young et de Mark Knopfler. Comme dans un rêve. En 2013, l’envie lui prend de tailler la route du blues, entre Chicago et La Nouvelle-Orléans. Avec son alter ego Fred Jaillard, producteur parisien de Marc Aymon, il se plie au pèlerinage et s’arrête dans toutes les boutiques de guitares croisées sur les bas-côtés. «Pourquoi n’y étais-je jamais allé auparavant? se demande-t-il lorsqu’il découvre Jackson Square. Cette ville est magique, tu rencontres tout le temps des gens, tout y est si facile.» Sacha Ruffieux y retourne à trois reprises.

Pour y composer ses propres chansons. Enfin. «Je traîne ce projet depuis longtemps. A Fribourg, j’oublie de faire des trucs pour moi. Je suis sollicité par plein de gens. Ça me fait une excuse…»

«Ils te forcent à être meilleur»
A La Nouvelle-Orléans, il rencontre Papa Mali, avec qui le courant passe dès les premiers riffs. A la fraîche, il recrute le meilleur sousaphoniste de la ville et enregistre une poignée de chansons teintées de vaudou, de garage fiévreux ou de blues bien poisseux. «On bossait des sessions de trois heures. Je leur faisais écouter mes maquettes. On discutait structures et tonalités, puis on enregistrait une ou deux prises. Et voilà. Les mecs sont tellement bons, ils te forcent à être cent fois meilleur. Tu ne peux pas te permettre la honte. Ils te poussent vers le haut.»

Aujourd’hui, le premier disque de Sacha Love est presque terminé. «Il me manque encore quelques textes. Je ne suis pas trop pressé. Je suis content d’avoir réussi à raconter ce que j’avais envie.» Aucune date de sortie n’est pour l’heure fixée. Peut-être au printemps, peut-être plus tard. «J’aimerais faire venir ces musiciens en Suisse pour quelques concerts», sourit-il. Il mar­que un soupir. «Je n’ai pas l’état d’esprit compétitif, je n’ai pas les dents longues et je ne suis pas en manque de reconnaissance. Pour moi, la musique est une histoire de rencontres avec les gens.»

Récemment, Sacha Ruffieux a croisé Jean Fauque (parolier de Bashung) lors de la Médaille d’or de la chanson dans le Jura. «On s’est super bien entendus et on a composé une chanson ensemble.» Pareil avec Fred Jaillard. Un repas de midi qui se prolonge dans l’ivresse des nuits parisiennes. «On est allés à son studio. On s’est mis à jouer et on a enregistré sept titres jusqu’au petit matin…» Il double-clique sur son Mac. Bluffant, on jurerait un repérage Couleur 3. Et dire que ce disque ne sortira sans doute jamais…


Créations de Fabienne Berger

Ce vendredi, Sacha Love sera l’un des invités de la soirée qui marque les 30 ans de la Compagnie Fabienne Berger, à Nuithonie. A 22 h, Sacha Love & Friends donneront un concert estampillé New Orleans Funk. Le guitariste et chanteur sera entouré de Julien Vonlanthen (voix & percussions), Mimmo Pisino (basse), Mathieu Kyriakidis (claviers) et Nicolas Pittet (batterie).

Pour cet anniversaire, Fabienne Berger a souhaité une soirée (gratuite) au carrefour des arts, dans les différents espaces de Nuithonie. Elle a convié divers artistes avec qui elle n’avait jamais travaillé, pour porter un regard sur aujourd’hui et demain plutôt que dans le rétroviseur… Une partie souvenirs ouvrira toutefois la soirée, avec le vernissage (à 18 h 30) d’une exposition de photos de Mario Del Curto, accompagnée d’installations et de projections de Bastien Genoux. Deux performances avec des chorégraphies de Fabienne Berger sont ensuite au programme: la première se tiendra à 19 h 30, en collaboration avec François Gendre, la seconde à 21 h, avec Hubeskyla (Lionel Gaillard, Mathias Bieri, Fabrice Seydoux, Christophe Jaquet et Duri Darms) pour la création musicale et Anyma (Michael Egger) pour la vidéo. Après le concert de Sacha Love & Friends, la fête se poursuivra, dès 23 h 30, avec la DJ M’zelle Charlotte.

Villars-sur-Glâne, Nuithonie, vendredi 18 décembre, dès 18 h 30.

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