Quand des écrivains causent littérature

Trente auteurs célèbres ou discrets parlent d’écriture et de lecture, avec une simplicité rare. Joseph Vebret a mené ces Causeries littéraires, qui offrent une stimulante balade à travers la littérature d’aujourd’hui.

Michel_Houellebecq - copie
Par Eric Bulliard

Il les appelle des Cause­ries littéraires. Pas des interviews d’auteurs ni des entretiens. Non, des causeries, avec l’idée de familiarité et de vrais échanges que comprend le terme. Joseph Vebret, écrivain, journaliste et critique littéraire français, en publie trente aux Editions de l’Hèbe, à Charmey. Directeur du magazine en ligne Le salon littéraire (www.salon-litteraire.com), il offre une revigorante balade dans la littérature d’aujourd’hui, plus riche et diverse qu’on ne l’imagine souvent.

Marie-Claire_Dewarrat - copieParmi ces trente écrivains figurent des auteurs à succès (Amélie Nothomb, Michel Houel­lebecq, Françoise Chandernagor…), un académicien (Frédéric Vitoux), un prestigieux éditeur et romancier (Claude Durand, disparu le printemps dernier), mais aussi la Châteloise Marie-Claire Dewarrat, délicieuse de verve et d’ironie. Joseph Vebret montre en outre une prédilection pour les écrivains moins grand public, mais pétris de style et de classe, comme Michel Chaillou ou Lionel-Edouard Martin.Philippe_Sollers - copie

Houellebecq sans buzz
Ces dialogues, il les mène avec un savoureux mélange de modestie et d’érudition. Certes, Philippe Sollers fait son show et Amélie Nothomb se révèle toujours aussi étrange. Mais Joseph Vebret a l’intelligence de tous les laisser parler de ce qu’ils connaissent le mieux, la littérature, côté écriture et côté lecture.

Exemple le plus frappant: Michel Houellebecq. Loin des interviews de JT où l’on ne cherche que la petite phrase qui fera le buzz, il parle ici héritage du Nouveau roman, instances de narration et style: «Ceux qui prennent l’absence de style visible pour une absen­ce totale de style sont des gens d’un niveau faible. Il y en a….»

Au cœur de la création
Joseph Vebret recourt souvent aux mêmes questions: quels sont vos livres de chevet? Avez-vous des rituels, des TOC d’écrivain? A quoi sert la lit­térature? Des questions simples, hors de toute prétention académique, qui permettent de pénétrer au cœur de la création.

L’écriture se dévoile ainsi dans ses aspects les plus triviaux («les feutres à pointe fine de différentes couleurs», de Didier van Cauwelaert, le café d’1 h du matin de Philippe Jaeneda…) comme dans ses volets mystérieux, voire douloureux. «Un individu normal n’écrit pas, relève Patrice Delbourg. Il aime, il chante, il voyage, il profite de son passage terrestre. L’écriture est un brouillon vers la mort.»

Fragments et réflexions
Pour compléter ces passionnantes Causeries littéraires, Joseph Vebret publie Fragments désordonnés, des extraits de ses carnets, couvrant les années 2009-2014. Où l’on retrouve sa finesse et sa pertinence, à travers cette suite de réflexions et d’observations sur des lectures, des relectures, des rencontres.JVC

Entre des notations de la vie quotidienne, il évoque aussi bien de glorieux aînés (Flaubert, Stendhal, Casanova, Maupassant…) que des écrivains actuels. Comme Pierre Bergounioux ou Michel Chaillou, qui lui est particulièrement cher. Disparu en décembre 2013, ce styliste de haut vol lâche, dans la Causerie qui lui est consacrée, ces phrases qui résument ce qui distingue la littérature du tout-venant: «Sans style, il n’y a pas d’œuvre! La plupart des livres sont rédigés, pas écrits.»

Joseph Vebret, Causeries littéraires II, 384 pages et Fragments désordonnés II, Carnets 2009-2014, 192 pages, Editions de l’Hèbe

 

Quelques morceaux choisis
Michel Chaillou: «Un jour, dans un salon du livre, une dame m’a dit qu’elle avait plein de choses à dire et qu’elle aimerait bien les écrire. Je lui ai répondu qu’on commence vraiment à écrire quand on n’a rien à dire.»

Patrice Delbourg: «Pourquoi ne parle-t-on jamais de Salabreuil, Giauque, Duprey, Rodanski ou Prevel? De tous ces poètes effacés, ces soleils noirs? Et pourquoi nous rebat-on les oreilles avec Levy, Pancol, Musso, Werber ou Foenkinos, plumitifs abonnés à la daube surgelée qui auraient dû choisir le macramé ou la confection de colliers de nouilles plutôt que l’écriture?»

Marie-Claire Dewarrat, à la question: «Quels sont les écrivains qui vous ont façonnée?»: «Tous ceux qui savent que la littérature n’est qu’un effroyable jardin avec, au centre, cet arbre maudit de la connaissance et ses maléfiques récoltes.»

Claude Durand: «Dès qu’on me dit d’un livre ou d’un film “c’est une histoire vraie”, je frémis, parce que je pense que la littérature n’est pas là pour “faire du vrai”. On fabrique un univers, on fabrique une fiction qui peut refléter une certaine réalité, mais une réalité supérieure. D’ailleurs, à mon avis, ce qui est réel, c’est ce qu’on construit, ce qu’on crée.»

Georges Flipo: «Je ne vais pas me gausser des écrivains qui se sentent investis d’une mission: Victor Hugo ou Soljenitsyne, par exemple, sont des géants. Mais moi, je n’ai jamais vu Dieu pointer son doigt sur moi en proclamant: “Tu seras écrivain, et voici ta mission.”»

Annick Geille: «Par opposition au bruit ambiant, il me semble que la seule chose qui importe sur terre, c’est l’art et la mer.»

Hubert Haddad: «A priori, l’artiste est le garant du sans rôle, du sans mission, de la liberté inaliénable, donc. Chose dite, dans l’espace communicationnel quasi infini, il est probable que l’écrivain travaille pour la valeur absolue de l’inachevé, du périssable, de la fragilité, face à un monde en marche vers la norme et l’aveuglement de la transparence.»

Michel Houellebecq, à la question «Pourquoi écrivez-vous?»: «Parce que les gens trouvent par moments que mes livres sont bons et que cela m’apporte une satisfaction. Et puis, surtout, parce qu’il m’arrive d’être content de moi. Et j’aime ces moments où je suis content de moi.»

Pierre Jourde: «Il est vrai que le niveau des journalistes littéraires est trop souvent affligeant, qu’il s’agisse de culture générale, d’intelligence ou de talent.»

Alexis Salatko: «Hélas, je pense que le temps des grands écrivains pourfendeurs d’injustice est bien révolu. Nous sommes dans un monde d’esbroufe et d’épate, pipelets et people ont pris le pouvoir (encouragés par les éditeurs) et il n’y a plus personne pour chasser les marchands du temple.»

Philippe Sollers: «Je pense que [les gens] ne lisent pratiquement plus. Ils ouvrent un livre pour assister à un film qu’ils oublient très vite. Donc, ils ne sont pas sensibles à la musique, aux mots, autrement dit à la poésie.»

Frédéric Vitoux: «On écrit, voilà, parce qu’on est un peu moins malheureux comme cela.»

Posté le par Eric dans Littérature, Livres Déposer votre commentaire

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