Lionel Frésard: du bistrot de village aux feux de la rampe

Dans un spectacle d’humour qui lance la saison culturelle de CO2, Lionel Frésard retrace sa trajectoire singulière, d’un café jurassien aux scènes professionnelles, via le foot et le théâtre amateur.

L. Frésard ©R.Gapany

©R.Gapany

Par Eric Bulliard
Parcours peu banal: après un apprentissage de boucher, Lionel Frésard reprend le café de ses parents, à Saignelégier, et découvre le théâtre dans la troupe d’amateurs fondée par son équipe de foot. Vingt ans plus tard, devenu un comédien incontournable des scènes romandes, il raconte cet itinéraire dans Molière-Montfaucon 1-1. Créé au printemps dans les Franches-Montagnes, ce spectacle d’humour, mis en scène et coécrit par Thierry Romanens, ouvre  la saison culturelle de la salle CO2, à La Tour-de-Trême.

Seul en scène, Lionel Frésard incarne une galerie de personnages qu’il a connus ou aurait pu connaître et évoque avec «un regard amusé et attendri» deux mondes qui se connaissent mal, le village de campagne et le milieu théâtral professionnel.

Comment est né ce spectacle? L’idée de raconter votre trajectoire vous taraudait depuis longtemps?
Ce spectacle est plein de morceaux qui étaient dans ma tête: certaines scènes étaient déjà prêtes à être exploitées. Mais je n’arrivais pas à me décider. Je pensais que je n’étais pas capable d’écrire ça. A un moment donné, Thierry Romanens a invité 4-5 personnes et il a dit: «Parle-nous de ton spectacle idéal.» J’ai fait une impro d’une heure et le spectacle était à peu près né. Il a fallu corriger, trouver des liants… En plus de la mise en scène, Thierry l’a coécrit et Camille Rebetez, de la Compagnie Extrapol qui crée le spectacle, a supervisé le tout.

Dès le départ, il était évident que Thierry Romanens mettrait en scène?
Il m’avait écrit un spectacle il y a sept ou huit ans et nous nous entendons vraiment bien. Nous avons une espèce de sensibilité commune: il a été énorme dans ce qu’il a proposé, il était toujours à l’écoute du projet. On a aussi passé un mois aux Franches, d’abord à deux, ensuite trois et quatre personnes et il n’y a pas eu une seule prise de tête. Thierry, quand j’avais encore mon bistrot, je l’avais vu dans son spectacle, Piqûre de mystique, en 1992 ou 1993, à Tramelan. Et j’étais tombé en pâmoison, j’avais trouvé ça magnifique. C’est un type hyper touchant et une belle personne.

Quelle est la part de fiction et de réalité?
C’est un savant mélange… Il y a des choses basiquement vraies, d’autres qu’on a un peu «truandées», comme aime dire Thierry, parce que la vérité vraie n’est pas toujours passionnante. On a un peu transformé, parfois on a grossi le trait. Pas mal de personnages existent ou ont existé. D’autres m’accompagnent depuis longtemps dans ma tête. C’était rigolo parce que là-bas, à la création, je racontais des personnages de mon bistrot et comme beaucoup d’anciens clients sont venus au spectacle, ils les ont reconnus… ou ils essayaient de mettre des noms sur chacun, alors qu’on a fait des mix.

A l’inverse, certains qui venaient de plus loin m’ont dit: «Je n’en connais pas un, mais je les ai tous déjà vus!» Parce que ce sont des personnages universels: je pense qu’à Epagny, au bistrot du coin, on va trouver les mêmes personnes qui tapent le carton. Quelqu’un m’a fait un joli compliment en disant: «Zouc est allé faire rire tout Paris avec les gens des Franches…»

Plusieurs sont venus me dire: «Bravo, tu t’es pas foutu de notre gueule.» C’était important de ne pas les dénigrer: je viens de là, je n’ai jamais renié mes origines. Certains pensaient que depuis que je fais du théâtre, j’ai oublié tout le reste. Alors que si le spectacle s’appelle Molière-Montfaucon 1-1, c’est que tout ça me constitue et me nourrit encore aujourd’hui.

A quel moment vous êtes-vous dit que votre parcours était suffisemment original pour qu’il puisse intéresser les gens?
C’est rigolo, parce que plein de gens me disaient qu’ils en avaient marre des types qui racontent leur vie en one-man-show… et j’étais justement en train d’écrire ça! Mais cette envie était suffisamment forte pour qu’elle voit le jour. Je n’ai pas la prétention de dire que ma vie est mieux qu’une autre. C’est un parcours certes original, parce que c’est particulier d’être bistrotier et de tout plaquer pour aller faire du théâtre, mais plein de gens ont des vies très originales…

Je n’étale pas non plus ma vie de famille: je parle des mes parents parce qu’il y avait le resto, mais pas de mes sœurs, pas de mon épouse et mes enfants. Je ne voulais pas tout mélanger: c’était vraiment un truc que je devais réaliser, avec ce départ de Saignelégier, l’arrivée à Lausanne dans ce conservatoire…

L’humour, c’est un genre qui vous a toujours attiré?
C’est par là que j’ai commencé, à Montfaucon, dans la troupe du club de foot, où on monte principalement des vaudevilles. Pour moi, ce métier de comédien est arrivé sans préméditation. Un jour, on est venu me demander si je voulais jouer, et j’ai répondu: «Les poésies à l’école, j’étais pas capable d’aligner trois mots, qu’est-ce que tu veux que je vienne faire du théâtre?» Mais j’ai joué une fois, deux fois, trois fois, des rôles toujours plus importants. Je me suis renseigné pour savoir où il y avait des écoles pour faire du théâtre et je me suis retrouvé au Conservatoire de Lausanne.

J’aime faire rire: c’est beau une salle qui se bidonne! Je le dis dans le spectacle: faire marrer une salle avec deux bons mots et trois grimaces, c’est quand même dingue… Mais j’aime bien aussi l’inverse: aller chercher les gens où ils ne s’y attendent pas. Ce spectacle, ce n’est pas pouet-pouet tout le temps. J’essaie d’être drôle et touchant.

Cette arrivée au Conservatoire, comme s’est-elle passée?
Les premiers cours avec André Steiger (n.d.l.r. alors directeur de la section professionnelle d’art dramatique du conservatoire de Lausanne), je rentrais en pleurant, parce qu’il avait causé cinq heures et que je n’avais rien compris. Je me demandais ce que je foutais là… Je n’avais quasiment pas lu un bouquin, j’arrivais de la cambrouse où je faisais du foot, je tenais mon bistrot et je buvais des verres. Tout le conservatoire était douloureux, j’ai commencé  à m’éclater dans ce métier quand j’en suis sorti, parce que c’était surtout un stress de retourner à l’école. Quand tu as un métier, quand tu as des employés et que tu te retrouves élève et en plus élève qui ne sait rien… Et puis j’avais mes «R» qui raclaient… C’était dur! Là, j’arrive dans une phase où, à 43 balais, je n’ai plus envie d’aavoir affaire à des tyrans. Dans jouer au théâtre, il y a le mot jouer et on doit s’amuser…

 

Posté le par Eric dans Humour, Théâtre 1 Commenter

Répondre à Lionel Frésard: du bistrot de village aux feux de la rampe

  1. Pingback: Lionel Frésard: hommage au théâtre, au Jura, au foot et à Gérard | Beau vers l'œil

Ajouter un commentaire