En 1984, Frankie Goes To Hollywood dit «Relax»

Interdit sur les ondes de la BBC en raison de ses paroles jugées outrageantes, Relax propulse Frankie Goes To Hollywood au sommet du hit-parade en 1984. Retour sur la folle histoire de ce groupe feu de paille, à l’occasion de notre série d’été sur les œuvres uniques.

frankie-goes-to-hollywood

par Christophe Dutoit

Beaucoup pensent que les années huitante, niveau musique, c’était la Bérézina. Forcément, si on réécoute aujourd’hui A-ha, Wham!, Rick Astley, Duran Duran, Bananarama ou Cindy Lauper, on ne peut évidemment pas leur donner tort. On vivait alors en plein l’avénement du synthétiseur qui a ouvert aux musiciens de nouveaux horizons, après que le mouvement punk eut fait table rase quelques années plus tôt.

En 1984, la radio diffuse aussi bien Still loving you de Scorpions que 99 Luftballons de l’éphémère Nena. En France, Gilbert Montagné dispute la vedette à Jeanne Mas, alors que Michael Jackson vend des millions d’exemplaires de son phénomène Thriller. Mais, au tout début de l’année, un titre est sur toutes les lèvres (si l’on ose dire): Relax de Frankie Goes To Hollywood. Une chanson synthétique et obsédante, parée d’une rythmique tribale et addictive, mais surtout de nouvelles sonorités qui enterrent définitivement la vague disco et laisse présager le futur électronique de la musique.

Au moment où les premiers clips vidéo commencent à essaimer à la télévision, Frankie Goes To Hollywood frappe fort. Depuis novembre, son court métrage de cinq minutes montre le groupe dans une boîte gay, vêtu de cuir et entouré de beaux moustachus et de travestis sexy, alors qu’un Néron bedonnant envoie le chanteur Holly Johnson se faire dévorer par un tigre qu’il finit par amadouer.

Ouvertement homosexuel
Alors que le titre tourne en boucle sur les ondes anglaises depuis quelques semaines, le grand public et les censeurs découvrent le vrai sens des paroles:

«Relax, ne le fais pas
Lorsque tu veux le sucer
Relax, ne le fais pas
Lorsque tu veux venir.»

Or, dans le langage de la rue, venir signifie aussi… jouir. Stupeur et tremblement de terre: les paroles parlent ouvertement d’homosexualité! Jugée obscène et outrageante, la chanson est bannie de la BBC et grimpe, dès le lendemain à la première place des charts, pour y rester cinq semaines.

Mais qui est donc ce groupe qui se cache derrière ce nom bizarre qui ne fait pas référence à Frank Sinatra, comme beaucoup le croient à tort? Comme le raconte Danny Jackson dans sa biographie*, le band a été formé à Liverpool, patrie des Beatles, où émerge dans les années huitante une flopée de nouvelles têtes comme Echo & the Bunnymen, Orchestral Manoeuvres in the Dark ou Dead or Alive.

Les membres de Frankie Goes To Hollywood ont à peine vingt ans et la plupart travaillent à l’usine lorsque sort Relax. Quelques mois plus tôt, ils avaient signé un contrat de 1250 £ (à peu près 500 francs par musicien) avec la maison de disques ZTT et son producteur Trevor Horn, auteur du titre des Buggles Video killed the radio star ou de Owner of a lonely heart, le tube de Yes.

Très vite, Horn voit le potentiel de cette chanson. Mais il est très déçu de l’enregistrement avec le groupe. Il organise une deuxième session avec les musiciens d’Ian Dury, puis une troisième avec Steve Lipson, Andy Richards et JJ Jeczalik, mais, là encore, il juge le résultat insuffisant. Finalement, il recycle un beat créé avec une machine, programme une ligne de basse et joue des bruits bizarres avec ses synthétiseurs Fairlight et Roland. Surpris par la méthode, mais tenus par leur contrat, Holly Johnson et Paul Rutherford ajoutent leurs parties vocales à cette chanson pour laquelle ils n’ont pas joué une seule note.

Pugilat nucléaire
En mai 1984, Frankie Goes To Hollywood réédite son exploit et place son deuxième 45-tours en tête du hit-parade. Durant deux semaines, Two tribes est même #1 et Relax #2 des charts. Avec son clip où des marionnettes de Ronald Reagan et Constantin Chernenko se livrent à un pugilat dans une arène, la thématique verse clairement sur le terrain politique. La peur d’un accident nucléaire est ici accentuée par la voix off de l’acteur Patrick Allen, qui prêta deux ans auparavant sa voix pour les spots de prévention gouvernementaux.

Après le sexe et la politique, il restait encore un sujet polémique que Frankie Goes To Hollywood ne pouvait pas manquer: la religion. La question sera réglée avec The power of love, contrepoint parfait à la galéjade Relax, et magnifique chanson d’amour au kitsch revendiqué.

Après neuf mois de présence effrénée dans les médias, le groupe sort en octobre l’album Welcome to the pleasure dome, l’un des tout premiers de l’histoire à avoir été enregistré en numérique. Bien plus qu’une compilation de ses tubes, il invente une nouvelle forme narrative où s’entremêlent bruitages, sonorités protoélectroniques, reprises de classiques (le tube soul War d’Edwin Starr ou l’insurpassé Born to run de Springsteen) et une poignée de chansons d’une qualité exceptionnelle, à l’image des treize premières minutes ou de la sublime Ballad of 32 et ses gémissements évocateurs.

«L’écoute de ce disque me plongea dans un profond désespoir, dit un jour le chanteur Gary Numan. La production était si bonne, le son était si classe qu’il a poussé toute l’industrie du disque un cran plus haut. Nous avons tous pataugé pour rattraper le coup.» Vingt-six ans plus tard, le disque n’a pas pris une ride. Alors que Bananarama ou A-ha (ha, ha, ha!) n’ont rien légué à l’humanité, Welcome to the plea-sure dome reste un disque charnière, un sommet musical de la fin du XXe siècle. Malgré le marketing forcené et l’exploitation de la polémique, le groupe a en effet accouché d’une œuvre à la fois en phase avec son temps et parfaitement visionnaire.

*Danny Jackson, The rise of Frankie Goes To Hollywood, Omnibus Press, 1985

 

Explosion en plein vol

Deux ans après la sortie de Welcome to the pleasure dome, Frankie Goes To Hollywood tente d’enregistrer son second album. Cette fois-ci, le groupe est vraiment censé jouer sur le disque, bien qu’il soit entouré d’une escouade de requins de studio, dont Steve Howe et Trevor Rabin, tous deux guitariste de Yes.

En octobre 1986 sort ainsi Liverpool et ses sonorités plus dures, à l’image des deux titres phares, Warriors of the wasteland et Rage hard. Mais le succès n’est pas au rendez-vous. Après une courte tournée européen-ne – pour répondre aux contempteurs qui le jugent uniquement capable de jouer en play-back – le groupe explose en plein vol, une semaine après son concert au Hallenstadion de Zurich.

Holly Johnson se sent exploité et montre son désaccord avec sa maison de disques ZTT Records, qui le poursuit devant les tribunaux pour l’empêcher d’enregistrer sous son propre nom. Après deux ans de procédure, le chanteur obtient gain de cause et publie plusieurs disques sans génie.

Quant à Frankie Goes To Hollywood, il connaît un nouveau quart d’heure de gloire (enfin, 18 minutes, pour être précis) en novembre 2004, lors d’un concert de charité à Londres. Pour l’occasion, Holly Johnson est remplacé par Ryan Molloy, un inconnu recruté par casting dix jours auparavant. Contre toute attente, le jeune homme crève l’écran et interprète avec un magnétisme félin les trois titres les plus emblématiques du groupe.

Cette mouture new look se sent pousser des ailes. De nouveaux morceaux sont écrits, des dates de concerts sont fixées, un nouveau nom est même trouvé, Forbidden Hollywood, pour éviter toute confusion avec l’original. Mais le projet avorte lamentablement en 2007. Depuis cette date, Frankie Goes To Hollywood repose en paix et c’est peut-être tant mieux.

 

Come-back très discret

Après son départ de Frankie Goes To Hollywood en 1987, Holly Johnson tente une carrière solo et sort Blast, son premier album, deux ans plus tard. Deux autres suivront, mais pas le public… En 1991, le chanteur apprend sa séropositivité et se retire de la vie publique. Il s’adonne alors à la peinture et expose ses travaux, notamment à la Tate Liverpool et à la Royal Academy de Londres. Toujours en froid avec ses anciens acolytes, il refuse de participer à la réunion de 2004.

C’est dire si sa tentative de come-back en 2014 en a surpris plus d’un. Produit par Vangelis – auteur des fameux Chariots de feuEuropa grimpe difficilement à la 63e place des charts. Dans la foulée, Holly Johnson, le cheveu gris et l’énergie en berne, se lance dans une tournée pathétique, où il chante tant bien que mal ses tubes Relax et Two tribes avec un groupe sans âme et devant un public sans pitié. Dommage, car l’héritage de Frankie Goes To Hollywood mériterait mieux que ça.

 

 

Posté le par admin dans Anglo-saxon, Musique, Série d'été | Et puis plus rien Déposer votre commentaire

Ajouter un commentaire