Jibcae: «J’écris pour sublimer ma souffrance»

Chanteuse protéiforme et artiste accomplie, Claire Huguenin vient de publier son premier album solo, sous le nom de Jibcae. Plus vulnérable que jamais, la Gruérienne installée sur les contreforts du Mont-Pèlerin revient sur la genèse de ce disque… et sa récente découverte du maraîchage.

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par Christophe Dutoit

Qui est Claire Huguenin? Le sait-elle seulement elle-même? Certains l’ont connue biologiste, grande connaisseuse des larves et des limaces, mais ils sont rares. D’autres se souviennent qu’elle fut la chanteuse de Skirt à la fin des années 1990, ce quatuor d’adolescentes gruériennes en colère qui vit éclore en son sein Laure Betris (alias Kassette) et Noémie Délèze (alias Francis Francis). Et pour ceux qui ne connaissent rien d’elle, sachez que la jeune dame a commencé la musique avec l’ensemble de flûtes à bec de Bulle et qu’elle fait partie de nombreux groupes qui ont pour point commun d’avoir des noms aussi imprononçables que AEIOU, Mmmh!, Grimsvötn, Kera, Guadalupe, Greenwoman ou Kamikaze. Sans compter, depuis quelque temps, son projet solo, sous le pseudonyme de Jibcae. C’est déjà pas mal pour une femme de 32 ans, aux talents multiples et protéiformes.

Forme plus intimiste
Dès la première écoute de Soul farewell, on ressent un double sentiment paradoxal. D’un côté, Claire Huguenin n’a jamais semblé aussi fragile, aussi vulnérable. De l’autre, la chanteuse n’a jamais paru aussi sûre de sa voix, pleine et généreuse. Est-ce à ce point contradictoire? «Depuis toujours, je vais chercher dans l’intime», raconte la Bulloise, assise devant sa maison, dans une clairière adossée au Mont-Pèlerin, mais qui pourrait très bien être au fin fond du Canada. «Cette fois-ci, la forme est aussi plus intimiste. Il n’y a pas de batterie, moins de volume, davantage de subtilité et de douceur.»

On a fait au maximum trois prises. Ce n’est pas de la pop léchée, mais un flash, un moment de spontanéité.

Après une minitournée de cinq dates, Claire Huguenin décide d’enregistrer son disque en deux jours, avec ses trois musiciens, dont son compagnon Malcolm Braff au piano. «On a fait au maximum trois prises. Ce n’est pas de la pop léchée, mais un flash, un moment de spontanéité.» Et un argument pour chercher des concerts, le lieu où cette musique, entre le jazz contemporain et la chanson, peut véritablement prendre son envol.

Avec des titres plutôt expérimentaux comme The bad layer ou Caillou – en français, chose rarissime dans son cas – l’auditeur peut penser à la douce folie de Camille ou à un extrait d’une comédie musicale sur Broadway. Bonny at Morn, au contraire, semble tout droit sorti d’un registre éthno-spirituel du plus bel effet.

«Pour moi, la musique est un sport d’équipe: chaque projet est une nouvelle aventure humaine, car je la vis comme quelque chose de social. Tous mes projets sont beaux, quelle que soit leur durée de vie.»jibcaeassis

Ces cinq dernières années, Claire Huguenin a repris des études pour aboutir à un bachelor en chant jazz et un master en composition. «Ce fut pour moi une stimulation intense, qui a débouché sur un tas de collaborations. Je suis arrivée à Berne en me méfiant du formatage. Dès la première semaine, mon cerveau s’est fait malaxer.» La jeune femme dit y avoir amélioré ses capacités d’analyse et d’écoute, y avoir nourri sa culture musicale et, surtout, y avoir gagné en expérience. «J’y suis allée pour le plaisir purement hédoniste d’en apprendre davantage. Je me suis sentie très privilégiée, même si j’étais la seule nana et la seule Romande.»

Etudiante en chant bien qu’elle n’ait pas un intérêt marqué pour la musique vocale, elle commence par… perdre sa voix après quelques semaines. «J’ai dû aller voir un phoniatre. Je ne savais même pas que cette discipline existait.»

Besoin d’émotions
«Comme je ne suis pas un bulldozer vocal, je n’ai pas une confiance totale en mon instrument. J’ai surtout travaillé mon oreille. En plus, j’ai appris à écrire la musique, avoue-t-elle. J’ai surtout bossé là où j’avais des faiblesses.»

Malgré cette formation poussée, la jeune SLRF (sans local de répétition fixe) explique ne pas faire une course à la virtuosité. «Mon niveau de guitare ou de batterie reste très modeste. J’ai surtout besoin d’émotions dans ma musique. Je ne suis pas dans le rationnel, je ne suis pas là pour prendre mon pied avec des élucubrations.»

Surtout, ces années de formation lui ont permis de mieux comprendre ce qu’elle a réellement dans les tripes. «Depuis mon adolescence, j’écris pour sublimer ma souffrance. C’est comme une excrétion, une manière d’évacuer les déchets de mon organisme. Pour moi, l’art est une expression vitale, presque hygiénique.» A l’âge de 12-13 ans, Claire Huguenin composait déjà ses premières chansons, en anglais, cette langue dans laquelle son père lui chantait des comptines. Déjà un besoin de purification. «Pour moi, l’anglais est la langue de l’émotion. Je suis très inhibée en français.»

Nouveau projet en route
Avec la sortie de ce premier disque de Jibcae, la Gruérienne avoue ne pas chercher à s’affirmer par un succès commercial. «Quand l’art devient un revenu, ce n’est plus pareil…»

D’ailleurs, ces temps-ci, Claire Huguenin apprend les rudiments du maraîchage bio dans une ferme voisine, qui pratique l’agriculture contractuelle de proximité. «J’ai choisi le chaos comme mode de vie. Je ne me referai pas…» Avec son compagnon, elle prépare également un nouveau projet, qui devrait trouver son aboutissement à la fin de l’année. Son nom? «C’est encore secret!» Un indice: il paraît qu’il y est question d’amour…

Jibcae, Soul farewell, Contemplate Music, www.jibcae.com

 

 

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