Au Théâtre de Vidy, là où les arts vibrent depuis un demi-siècle

Le Théâtre de Vidy, à Lausanne, marque ses cinquante ans par un livre signé René Zahnd. En un demi-siècle, ce lieu construit pour l’Expo 64 est devenu un centre de création d’importance européenne.

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Par Eric Bulliard
C’est un endroit à part, tourné vers le lac et les montagnes. Un lieu paisible sur les rives lausannoises, entre terrains de foot, courts de tennis et plage. Idéal pour agiter les esprits. C’est un théâtre sans chichis ni flaflas, dont on ressort souvent surpris, dérouté, parfois subjugué ou agacé, rarement indifférent.

A Vidy, le théâtre ne se contente pas de vous changer les idées le temps d’une soirée. Il nourrit. Ici, les arts sont vraiment vivants et leurs pulsations résonnent depuis un demi-siècle, comme le rappelle un livre signé René Zahnd, Vidy, un théâtre au présent – 50 ans d’histoire.favre_vidy_couv_602

Idéal, le lieu l’est d’abord par la sobre architecture de Max Bill, qui a, «avec une modestie absolue, fait le cadeau de la lumière et de l’intimité, soulignait l’ancien directeur des lieux René Gonzalez. Il a touché quelque chose de la simplicité fondamentale, dans le rapport des espaces ou au niveau acoustique. L’humain est au centre de tout, ici: c’est un lieu qui permet la vie, et on ne s’en prive pas.»

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«Elitaire pour tous»
L’humain se retrouve aussi au centre de ces cinquante ans d’histoire, avec ses luttes, ses amitiés, ses jalousies. René Zahnd (écrivain et directeur adjoint de Vidy de 1999 à 2012) les retrace à travers les directeurs successifs du «théâtre au bord de l’eau», comme l’a appelé l’un d’eux, Matthias Langhoff (lire ci-dessous).

Telle est l’une des qualités du livre: rappeler que derrière ses apparences d’énorme machine à plus de 20 millions de francs de budget annuel (avec un autofinancement à hauteur de 60%), l’aventure de Vidy reste celle d’hommes et de femmes unis par l’amour du théâtre.

Au fil des ans, du bouillonnement des années 1960 où tout restait à inventer à l’arrivée de Vincent Baudriller, une ligne prend forme. Elle vise une sorte de théâtre «élitaire pour tous», pour reprendre une célèbre formule d’Antoine Vitez.

Tout le théâtre européen
Parcourir l’histoire de Vidy revient à feuilleter cinquante ans de théâtre européen. Plus que les célèbres acteurs (Gérard Depardieu, Michel Piccoli, Isabelle Huppert, Nathalie Baye…), les créateurs en font la richesse: quasiment tous les metteurs en scène qui ont marqué ce demi-siècle traversent ces pages. De Giorgio Strehler à Thomas Ostermeier, d’Ariane Mnouchkine à Luc Bondy, de Benno Besson à Vincent Macaigne, de Claude Régy à James Thierrée. Et Bob Wilson, Henri Ronse, Peter Brook, Jacques Lassalle, Joël Jouanneau…

Jean-Quentin ChâtelainDu côté des Romands aussi, la liste impressionne: Jean-Quentin Châtelain révèle ses talents uniques dès 1986, André Steiger y fait ses premières mises en scène, Roger Jendly, de retour de Paris, devient un fidèle des lieux. On y croise Hervé Loichemol, Corinne Coderey, Gérard Carrat, Jean-Luc Bideau, Jacques Roman…  Plus récemment, Valentin Rossier, Gianni Schneider ou encore Dorian Rossel ont laissé leur empreinte dans les quatre salles de Vidy.

Et maintenant?
«Un théâtre au présent», affirme le titre du livre. Le présent, c’est Vincent Baudriller, arrivé d’Avignon pour poursuivre l’œuvre exceptionnelle de René Gonzalez. Sa voie reste celle de la création et de l’ouverture internationale. Il a déjà marqué les esprits avec, par exemple Idiot!, mis en scène par Vincent Macaigne, qui a éclaboussé le public en ouverture de cette saison. Ou avec le déroutant retour de Langhoff pour Cinéma Apollo.

La semaine dernière, Stanislas Nordey a empoigné les mots de Pasolini pour créer un somptueux Affabulation. Sûr: là-bas, au bord de l’eau, se poursuit un théâtre intelligent, qui refuse la facilité béate et préfère ouvrir les yeux sur le monde et ses affres. «Si tout allait bien, je ne vois pas pourquoi je ferais du théâtre», affirme Matthias Langhoff.
René Zahnd, Vidy, un théâtre au présent – 50 ans d’histoire, Editions Favre, 288 pages

 

L’histoire de Vidy en trois directions

24 - vidy 1Charles Apothéloz (de 1965 à 1975)
Le pionnier. La grande salle de Vidy porte son nom: Charles Apothéloz (1922-1982) a non seulement été le premier directeur de ce théâtre mais aussi un de ses sauveurs. Cofondateur des Faux-Nez (la compagnie puis le mythique cabaret) et «commissaire théâtral» de l’Expo 64, il signe, durant la manifestation, la première mise en scène d’un spectacle en ces murs. L’Expo achevée, Charles Apothéloz est de ceux qui se battent pour sauver le bâtiment de Max Bill, conçu pour durer six mois, comme, près de quarante ans plus tard, la salle Mummenschanz d’Expo 02 aujourd’hui à Nuithonie. Rachetée par la ville de Lausanne, la salle sert d’abord de lieu de répétition pour le Théâtre Municipal, que dirige Apothéloz depuis 1959. Il faudra attendre la saison 1971-1972 pour que Vidy accueille ses premières représentations publiques.

 

24 - vidy 2Matthias Langhoff (de 1989 à 1991)
L’ouragan. Journaliste, pilier de La Gazette littéraire, Franck Jotterand (1923-2000) succède à Apothéloz de 1975 à l’accident de voiture qui le laisse diminué, en 1981. Pierre Bauer et Jacques Bert prennent le relais jusqu’en 1989 et l’arrivée d’un ogre allemand, metteur en scène fou et génial. Matthias Langhoff (né en 1941) débarque dans une ambiance tendue, nombre d’acteurs et de metteurs en scène romands regrettant qu’on aille chercher un directeur étranger. Durant son bref passage, Langhoff chamboule «le théâtre au bord de l’eau». En multipliant les coproductions et les tournées internationales, Vidy devient un centre de création d’importance européenne. Le public suit, mais des tensions naissent à l’interne. Pour évaluer la situation, Langhoff fait appel à René Gonzalez, sans imaginer à quel point cette décision allait marquer l’histoire de Vidy.

 

24 - vidy 3René Gonzalez (de 1990 à 2012)
L’âme. Ancien directeur du Théâtre Gérard-Philipe à Saint-Denis, René Gonzalez (1943-2012) est nommé codirecteur en 1990, avant de succéder, l’année suivante, à un Langhoff qui «reprend sa liberté d’artiste», écrit René Zahnd. «Gonzalo-du-Lac», comme il signait parfois, devient l’âme de Vidy. Dès son arrivée, il double le nombre de spectacles, fait venir des géants de la mise en scène (Luc Bondy pour John Gabriel Borkman avec Piccoli, Bob Wilson pour Orlando avec Isabelle Huppert), ouvre les lieux à tous les arts vivants, sans oublier les créateurs d’ici. René Gonzalez «élève la programmation et la production au rang de beaux-arts», selon René Zahnd. Malade depuis 2007, il travaille avec acharnement, jusqu’à ses derniers jours. René Zahnd et Thierry Tordjman assurent l’intérim, avant l’arrivée de Vincent Baudriller, ancien codirecteur du Festival d’Avignon, en 2013.

Posté le par Eric dans Livres, Théâtre Déposer votre commentaire

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