Pietragalla, ou la danse comme «poésie en corps»

La danseuse et chorégraphe Marie-Claude Pietragalla sera samedi sur la scène de la salle CO2 à La Tour-de-Trême. Avec son compagnon Julien Derouault, elle présentera pour la première fois en Suisse leur nouveau spectacle.

pietragalla
Par Eric Bulliard

Ex-danseuse étoile de l’Opéra de Paris, Marie-Claude Pietragalla est de retour à la salle CO2 de
La Tour-de-Trême. Après la technologie flamboyante de M. et Mme Rêve, il y a deux ans, elle revient à une sobriété plus classique, toujours en duo avec Julien Derouault.

Compagnons sur scène et dans la vie, Pietragalla et Derouault travaillent depuis dix ans avec leur propre compagnie, Le Théâtre du corps, et créent désormais tous leurs spectacles en commun. Entretien avec une figure majeure de la danse.

Après La tentation d’Eve et M. et Mme Rêve, Je t’ai rencontré par hasard est le troisième spectacle que vous présentez à la salle CO2 et il s’annonce encore très différent des deux premiers…
Marie-Claude Pietragalla: La compagnie Le Théâtre du corps fête ses dix ans cette année: la première création, Souviens-toi, portait sur le souvenir de l’enfance, sur comment l’individu se constitue, empreint de son patrimoine culturel, familial, géographique, social… Avec Julien Derouault, nous nous retrouvons dix ans plus tard dans Je t’ai rencontré par hasard, qui pose les questions de l’individu, de sa solitude, de la rencontre, du couple, de comment on se constitue vis-à-vis de l’autre.

On parle de l’amour, du rapport au quotidien, en touchant l’intimité et l’universalité, parce que le couple est universel. Nous avons aussi voulu travailler sur de grands textes: Racine, avec le personnage de Phèdre, le Marquis de Sade, Lorenzaccio de Musset…

Tous ces thèmes sont traduits de manière plus épurée que dans M. et Mme Rêve, qui était un foisonnement technologique…
Nous avons été émerveillés et ravis de travailler avec la nouvelle technologie, mais ce n’est pas une recette: nous n’allons pas aborder toutes nos pièces de cette manière. On revient parfois aux fondamentaux. Je t’ai rencontré par hasard, c’est vraiment un chemin intime, sur la constitution du lien amoureux. C’est à la fois une pièce sur le présent, sur la durée, sur le mouvement des sentiments et parfois leur volatilité.

Musicalement, vous revenez au classique…
Oui, il y a surtout une collaboration avec le musicien et compositeur Yannaël Quenel, un magnifique pianiste de formation classique. C’est notre troisième collaboration et je suis ravie de travailler avec lui. Le cahier des charges ne concernait pas uniquement ses propres compositions: il devait trouver à travers l’univers classique ou contemporain des musiques pour construire un univers et trouver un fil conducteur.

Malgré leurs différences, ces spectacles ont une approche commune…
Notre travail, on le définit comme le théâtre du corps: on travaille sur le conscient et l’inconscient, tout ce qui peut nous constituer en tant qu’être humain, tout ce qui peut laisser des stigmates dans la chair, que ce soit l’environnement culturel, familial, social, géographique. Et sur comment, à travers le corps, qui est narrateur, on arrive à peindre des personnages.

Vos spectacles restent toujours lisibles: est-ce important de vous adresser aussi à un public pas forcément spécialiste de danse?
Oui… Etre ouvert à tous et non pas à une caste précise, je pense que c’est la fonction même de l’artiste. Ce qui n’empêche pas de développer des thèmes pointus, comme la condition humaine de l’ouvrier minier ou les œuvres de Ionesco, du Marquis de Sade ou d’Aragon. Après, c’est dans la façon de les présenter au public.

Pour ma part, je ne fais pas de catégories: je prends la danse dans sa globalité. Les puristes me l’ont parfois reproché, mais j’étais une des premières à dire, dans les années 1980, que Michael Jackson était un grand danseur

Il reste toutefois une ouverture aux interprétations différentes: la danse est souvent moins explicite que les mots…
La danse, c’est de la poésie en corps. Certes, le corps peut paraître moins explicite et encore: il ne trahit pas, c’est un état de fait. Il y a un langage direct que les mots n’ont pas: ils peuvent être détournés, dits sur un ton qui appelle plusieurs interprétations. D’ailleurs, on peut dire quelque chose avec son corps et le contraire avec la parole… On le voit chez nos hommes politiques!

Depuis plus de dix ans, vous créez avec votre compagnon Julien Derouault: comment cette collaboration se déroule-t-elle au quotidien?
Nous sommes d’accord sur les thèmes à développer, sur notre vision de la création, de l’art et de la vie, mais avec notre identité propre, notre caractère. Après, nous parlons beaucoup, nous proposons des choses, parfois l’un se met en recul… C’est assez fluide, ça se fait sans vraiment réfléchir, sans chasse gardée: on parle aussi bien du choix des musiques que des thèmes à développer ou des artistes avec lesquels on veut travailler.

La semaine prochaine à Paris, vous faites aussi vos débuts au théâtre…
Oui, c’est une grande aventure: Eric-Emmanuel Schmitt m’a invitée non seulement dans son théâtre, le Théâtre Rive-Gauche, mais aussi à jouer une de ses pièces, L’élixir d’amour, et, en plus, de la jouer avec lui… C’est un grand privilège de jouer avec l’auteur!pietra-schmitt

Ces dernières années, vous avez été membre du jury de l’émission Danse avec les stars: que tirez-vous de cette expérience?
C’est une très bonne expérience, parce que, pendant longtemps, les gens de la danse ont pleuré en disant que c’était un art méconnu, mal perçu, pas médiatique. Là, on a une émission populaire, familiale, où l’on découvre beaucoup de formes et de techniques de danse, qu’elles soient sportives, de salon, contemporaines, bollywood…
Cette émission éduque le public et met à l’honneur cet art. L’important pour moi, c’était de garder mon intégrité, de ne pas juger les candidats avec dureté, parce que ce ne sont pas des professionnels, mais aussi d’avoir un rôle de passeur pour faire comprendre que l’on peut raconter quelque chose avec le corps sans la parole.

Ce côté mal aimé, peu médiatisé de la danse semble avoir bien évolué…
Complètement: j’ai l’impression que la danse prend le pouvoir. Il y en a de plus en plus au cinéma, dans la publicité, dans les médias… Les chanteurs veulent tous danser ou avoir des danseurs derrière eux. Elle est intemporelle, mais la danse est particulièrement à la mode ces temps-ci.

Pour ma part, je ne fais pas de catégories: je prends la danse dans sa globalité. Les puristes me l’ont parfois reproché, mais j’étais une des premières à dire, dans les années 1980, que Michael Jackson était un grand danseur. Chaplin a aussi travaillé avec le corps et était un danseur-acteur, comme Fred Astair ou Bruce Lee…

La Tour-de-Trême, salle CO2, samedi 10 janvier, 20 h. Réservations: Office du tourisme de Bulle, 026 913 15 46, www.co2-spectacle.ch

Posté le par Eric dans Danse, Spectacles Déposer votre commentaire

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