Blaise Hofmann, là où gémir n’est pas de mise

Blaise Hofmann a passé l’hiver dernier aux Marquises. L’écrivain vaudois, au regard toujours aussi affûté, en a tiré un livre de voyage, d’aventures, mais surtout de rencontres.

Blaise-Hofmann
Par Eric Bulliard

Il a déjà sillonné le monde (Billet aller simple, 2006), passé un été à l’alpage (Estive, 2007), fait le tour de la Méditerranée par voie terrestre (Notre mer, 2009). Il a publié un roman (L’assoiffée, 2009), enseigné quelque temps dans un gymnase vaudois. Blaise Hofmann a repris la route. Ou plutôt les airs et la mer, pour passer l’hiver dernier aux Marquises, dans le Pacifique sud. Il en a tiré un livre, sobrement intitulé Marquises, où la franchise de son regard fait à nouveau merveille.

Depuis ses débuts littéraires, Blaise Hofmann (né en 1978) combine ainsi plume acérée et regard affûté. Toujours pertinent, jamais condescendant ni béatement émerveillé. Mais pas toujours bien compris: le début de son récit, il l’a publié sur un blog, lors de son séjour sur place. Réactions virulentes de Marquisiens: «Des âneries comme vous venez d’écrire, mettez-les où je pense, voulez-vous?» lit-il dans les commentaires.hofmann_140x210_104_1

«Les bras m’en tombent. Ce petit blog inoffensif pensait bien faire.» Blaise Hofmann croyait rendre hommage au Festival des arts marquisiens, sur l’île de Ua Huka. Douloureux décalage. «Les coups durs sont intrinsèques au voyage, ils sont la mise de départ, le carburant. Cela dit, je reçois ma première baffe virtuelle. Virtuelle et anonyme: pas moyen de m’expliquer avec vous dans la vraie vie.»

«Fidélité au ressenti»
Ce qui ne lui enlèvera pas son acuité: «D’ores et déjà, je vous présente mes excuses pour ce qui suit. Je continuerai à suivre, pour unique règle, la fidélité au ressenti.» Une honnêteté qui traverse tout le livre. Blaise Hofmann se montre ouvert à toutes les rencontres, à toutes les discussions. Pas de recherche d’exotisme ni de pittoresque. Juste des hommes et des femmes qui l’accueillent, des paysages qui le fascinent, des histoires qui le passionnent.

Sur place, l’écrivain vaudois lit beaucoup, découvre les récits d’explorateurs qui l’ont précédé. Une femme lui confie les lettres de deux frères suisses, entre 1891 et 1916. François Grelet, plus tard rejoint par son frère Louis, s’est installé aux Marquises, pour élever des moutons et vivre de ses cultures, notamment le café.

Et Blaise Hofmann de conclure, désabusé: «Les habitants de Fatu Hiva ont cessé de cultiver le café il y a cinquante ans. Aujour-d’hui, ils importent du Nescafé en poudre, des boîtes produites par une multinationale qui a son siège à Vevey, à deux pas du village d’origine de la famille Grelet.»

L’iPhone 6 vu de Hiva Oa
Ce genre de rapprochement, Marquises en distille à diverses reprises. «A Fatu Hiva, il n’est pas surprenant de voir un comptable pêcher au harpon le matin et traquer le cochon sauvage la nuit», relève par exemple Blaise Hofmann. Avant d’ajouter: «Ce qui distingue Toa Nui, c’est qu’il en fait des films, tournés avec une caméra GoPro, accompagnés de commentaires sous-titrés, d’une bande-son reggae et d’un générique de fin, le tout aussitôt posté sur Facebook

Je suis aux Marquises, en tête-à-tête avec mon idole d’adolescence, et c’est une autre tombe qui me touche, celle de Raymond Robelot, un viticulteur bourguignon

La société mondialisée a atteint cet archipel isolé. A Puamau, «aux confins de l’île» Hiva Oa, il voit «pour la première fois l’iPhone 6 sur Youtube.» Il remarque, sans le déplorer ni s’en réjouir, cet étonnant mélange de modernité et de traditions plus ou moins artificiellement entretenues.

En pèlerinage
Le ton se fait plus caustique quand il évoque le Paul Gauguin, ce paquebot cinq-étoiles qui fait escale aux Marquises. «L’invasion commence. Paul Gauguin, cinq cents têtes. Omoa, à peine trois cents. La lutte est inégale.» Blaise Hofmann se poste en observateur: «Montre au poignet, sourire poli, habits neufs, appareils photo à objectif. Il y a des chirurgies esthétiques qui ont mal vieilli, des maquillages trop appuyés, des coiffures contre-nature.»Atuona_-_Tombe_Jacques_Brel_(5)

Mais les Marquises qui intéressent Blaise Hofmann ne sont pas celles des touristes. Même s’il se rend sur la tombe de Brel, histoire de boucler sa «trinité adolescente» par ce pèlerinage: «Un romantisme désuet m’avait fait camper dans le maquis bolivien, près du hameau de La Higuera, où fut exécuté Che Guevara. […] Ce même sentimentalisme déplacé m’avait amené à Harar, dans le vain espoir de sentir l’Ethiopie d’Arthur Rimbaud.» Restait Brel, sa tombe dans le cimetière qui surplombe le village d’Atuona.

Tête-à-tête avec l’idole
«Je suis aux Marquises, en tête-à-tête avec mon idole d’adolescence, et c’est une autre tombe qui me touche, celle de Raymond Robelot, un viticulteur bourguignon, déçu par la sécheresse de cœur des Européens, qui a tout vendu pour gagner les Marquises.» L’honnêteté, encore. Pas du genre à nous en mettre plein la vue, à nous expliquer à quel point c’est extraordinaire, l’autre côté du monde, simplement parce qu’il y est allé et pas nous.

Motane n’a rien d’un Eden, et je n’ai rien d’un Adam. C’est un local d’expérimentation pour un laborantin qui ignore ce qu’il cherche.

Cette même modestie lui permet de raconter son voyage au «je» sans donner l’impression de se mettre en scène. Alors qu’il en a vécu, des aventures… Comme ces quatre jours passés sur une île déserte, avec «un peu de sable en guise de matelas» et «une porte-fenêtre béante sur l’horizon». Le paradis? Pas vraiment: «Motane n’a rien d’un Eden, et je n’ai rien d’un Adam. C’est un local d’expérimentation pour un laborantin qui ignore ce qu’il cherche.»

Terre des Hommes
Blaise Hofmann a aussi découvert la chasse aux cochons sauvages en pleine nuit, s’est fait tatouer, a goûté au fãfaru «du thon plongé quelques heures dans de l’eau de mer où ont macéré pendant trois jours des têtes écrasées de chevrettes» et aux mangues «plus onctueuses que le plus onéreux des foies gras, joyeux Noël».

Il a joué au foot («un six contre six, les habillés contre les torses nus»), marché des heures à travers la forêt, s’est demandé ce qu’il faisait là. Il s’est souvenu des auteurs qui l’ont précédé, Jack London, Herman Melville, Pierre Loti. Surtout, il a rencontré Manu, Sarah, Ivana, Paul, Taniha… Ses Marquises sont pleines d’humanité. «Les Marquisiens disent habiter le Fenua Enata – ou Henua Enana – tout simplement la Terre des Hommes.»
Blaise Hofmann, Marquises, Editions Zoé, 240 pages

 

Posté le par Eric dans Littérature, Livres Déposer votre commentaire

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