Jean-François Haas, le jardin du bien et du mal

Dans Panthère noire dans un jardin, Jean-François Haas continue d’explorer ses thèmes de prédilection et d’interroger notre société. Avec, toujours, une plume voluptueuse.

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par Eric Bulliard

En 2012, Jean-François Haas se penchait sur le scandale des enfants misés, avec Le chemin sauvage. Il s’interrogeait également sur le mal, sur la loi du silence, sur bien d’autres thèmes encore. Panthère noire dans un jardin forme un pendant à ce magnifique roman: l’écrivain fribourgeois continue d’explorer la question du mal, mais il aborde aussi des interrogations sur la vengeance, le pardon, les relations entre frères, les souvenirs d’enfance, le poids que la société fait subir aux plus faibles…

Le chemin sauvage se déroulait dans la campagne fribourgeoise des années 1960. Dans un lieu plus ou moins identique, ce nouveau roman s’ouvre en 1967 et 1973, pour basculer rapidement en 2012. Trois histoires s’entremêlent autour de Paul Bergwald et de son frère Jacques, qu’un accident de naissance a laissé légèrement handicapé. Leur père est mort d’un mésothéliome pleural. Le «cancer de l’amiantepanthère». Paul en est frappé à son tour.

Jean-François Haas met alors en place un roman foisonnant, qui oscille entre les genres, du polar à la chronique sociale, du réalisme terrien à l’onirisme. Un meurtre survient: quelqu’un a voulu punir Maudruz, propriétaire de magasins de vêtements. Parce que là-bas, dans les usi-nes, de jeunes gens meurent après avoir inhalé les sables qui décolorent les jeans.

Dans l’ombre, la sauvagerie
Dans un livre de colère, Paul avait raconté l’histoire d’un jeune Roumain mort pour avoir délavé les pantalons des Occidentaux branchés. Le voici principal suspect de la mort de Maudruz. Favre, son ami d’enfance, se retrouve chargé de l’enquête.

Une enquête qui, autant le dire tout de suite, décevra les amateurs de dénouement à rebondissements. Le propos de Jean-François Haas est ailleurs. Dans la description affûtée d’une communauté villageoise emplie de peurs de l’autre, de violences plus ou moins larvées, d’une sauvagerie symbolisée par la panthère du titre. Tapie dans l’ombre, prête à bondir, on ignore si elle appartient au domaine du rêve, si elle s’est échappée d’un conte… ou d’un zoo.

Par moments, j’ai l’impression qu’il n’y a plus ni bien ni mal, ni justes ni injustes; qu’il n’y a que l’enfer

Ces incertitudes entre réalité et onirisme contribuent au charme du roman, en le nimbant de mystère. Le charme, c’est aussi cette écriture voluptueuse, cette manière de changer les points de vue, en particulier dans les passages à la simplicité trompeuse du carnet de Jacques Bergwald.

s.sépulcrePont et Saint-Nicolas
Ce brave Jacques constitue sans doute le personnage le plus touchant, avec sa bonté simple et naturelle, si mal adaptée à une société où «tout est possible», comme l’explique Favre: «Par moments, j’ai l’impression qu’il n’y a plus ni bien ni mal, ni justes ni injustes; qu’il n’y a que l’enfer et que c’est le royaume de la confusion.»

Et puis, il y a Fribourg, son pont de la Poya en construction, sa cathédrale avec la fameuse chapelle du Saint-Sépulcre. Fribourg et son cortège de la Saint-Nicolas, sa campagne, ses spécialités culinaires, le lac de Morat et son «sang des Bour­­guignons». Plus largement, il y a la Suisse et son brunch du 1er Août, son Blocher que Paul voit comme un «milliardaire qui voudrait s’approprier la liberté de Guillaume Tell pour enfermer ce pays dans une sorte de forteresse hors du monde qui est le château de sable de son enfance ratée».pontpoya

Rester un homme?
Tous ces éléments de couleur locale, Jean-François Haas les évoque sans jamais tomber dans le simplisme folklorique. Son propos reste universel, à l’image de cette poignante relation entre frères qui fait écho au récit biblique de Caïn et Abel.

Universel parce que, au fond, il n’est question que de l’homme: «Comment ne pas avoir peur de l’homme? s’interroge Favre. Et comment rester un homme devant l’homme? Comment rester un homme dans l’homme que l’on est?» Un homme capable d’égorger des enfants, mais aussi de «construire un rêve avec des tonnes de béton et de ferraille: ce pont, dont les lignes et les courbes prendraient bientôt des allures de grand oiseau qui ouvre ses ailes pour s’envoler…».

Luxuriant jardin
Cet homme qui n’hésite pas à s’enrichir sur la mort de ses semblables, mais qui a aussi donné au monde des chefs-d’œuvre comme la sculpture médiévale de la Mise au tombeau (à la cathédrale St-Nicolas), les poèmes de Gustave Roud, les rêveries de Rousseau ou les toiles de Rembrandt, qui traversent discrètement ces pages.

Il y a tout cela et bien d’autres choses encore dans cette Panthère noire dans un jardin. Jean-François Haas ne craint pas d’ajouter des couches. Parfois, le lecteur risque de se perdre dans ces méandres, mais l’ancien professeur de Gambach a aussi un talent d’explorateur qui lui permet de toujours retrouver le fil. Il suffit de lui faire confian­ce et de le suivre dans le jardin luxuriant qu’il ouvre devant nous.

Jean-François Haas, Panthère noire dans un jardin, Seuil, 288 pages

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