Marianne Faithfull n’en finit pas de ressusciter

Femme fatale du Swinging London dans les années soixante, Marianne Faithfull fête ses cinquante ans de carrière avec un album envoûtant, auquel ont collaboré Roger Waters, Nick Cave ou Anna Calvi.faithfulla

par Christophe Dutoit

Marianne Faithfull est une survivante, comme Keith Richards, l’autre Rolling Stones avec qui elle a connu l’amour. Car, avec les quantités d’héroïne qui ont coulé dans ses veines, elle aurait dû mourir plusieurs fois… Mais non, elle résiste.

De l’eau a coulé sous le Tower Bridge depuis les premiers pas de la donzelle, que la beauté fatale destinait à une carrière certaine.

Et plutôt bien, comme en témoigne la sortie cette semaine de Give my love to London, son vingtième album, qui marque ses cinquante ans de carrière. Un exploit pour une midinette que l’on jugeait écervelée en 1964, lorsqu’elle donnait corps à la première tentative d’écriture de son futur amant Mick Jagger.

De l’eau a coulé sous le Tower Bridge depuis les premiers pas de la donzelle, que la beauté fatale destinait à une carrière certaine. Elle a goûté au cinéma, au théâtre, à la mode, mais elle est toujours retournée à ses premières amours, la chanson et surtout le répertoire rock du demi-siècle dernier auquel elle a rendu de nombreux hommages durant la décennie.

Deux mousquetaires
Ce nouvel album, la dame de 67 ans l’a composé avec deux de ses fidèles mousquetaires: d’abord Roger Waters, membre fondateur de Pink Floyd, avec qui elle a déjà collaboré par le passé. Le bassiste lui a offert Sparrow will sing, une ballade démoniaque qui aurait bien pu s’échapper de la seconde partie de The Wall. Mais le véritable d’Artagnan de l’album se nomme bien Nick Cave, le chanteur australien qui partage avec la Londonienne sa longue dépendance avec la poudre blanche et le fait d’être parvenu à enfin s’en débarrasser.

Après avoir participé à l’album Before the poison il y a une dizaine d’années, il lui a écrit Late victorian holocaust, une complainte sublime et macabre, pudiquement accompagnée d’un piano enjôleur et d’un violon aux accents tsiganes. Une pure merveille, interprétée avec cette voix de vieille fumeuse, ce timbre éraillé et rocailleux qui lui confère un charme fou depuis plus de trente ans.

Sombre, triste, envoûtant
Le ton de l’album est donné, sombre, triste, envoûtant, notamment grâce au talent de ses musiciens de studio, en tête desquels on retrouve Adrian Utley (guitariste de Portishead) et le songwriter anglais Ed Harcourt au piano. Troisième larronne à avoir participé à cette gestation, la jeune chanteuse Anna Calvi s’est mise à l’unisson du reste du casting, avec le très lyrique Falling back, qui fait appel à une chevauchée fantastique de violons pour tenir tête à la voix de la diva.

Un peu à l’image d’Alain Bashung pour ses derniers enregistrements, Marianne Faithfull parvient à faire siennes des compositions d’autres musiciens, à les empoigner à bras-le-corps, à les malaxer, à les digérer et à les chanter comme si elle les avait elle-même écrites. Et, comme l’auteur de Vertige de l’amour, elle achève son dernier disque sur une reprise de Leonard Cohen (Going home), en forme d’ultime résurrection.

Marianne Faithfull
Give my love to London
Naïve / Musikvertrieb

En concert au Crochetan de Monthey, le 25 octobre. Infos: www.crochetan.ch

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Un demi-siècle résumé en trois disques

As tears go by (1964)
asteargobyLe premier. Avec son minois d’ange et sa silhouette exquise, Marianne Faithfull ne rêvait pas forcément d’un destin musical. Fille d’un officier britannique et d’une aristocrate autrichienne, elle est initiée très tôt par sa mère aux arts de la scène. Au début des années soixante, elle chante dans des cafés des airs populaires traditionnels. Elle rencontre alors le manager des Rolling Stones, qui cherche justement une voix féminine pour interpréter As tears go by, le premier titre jamais écrit par le couple infernal Mick Jagger – Keith Richards. Jugeant la chanson trop mielleuse, les Glimmer Twins s’imaginent mal la chanter à leur public de l’époque, habitué à leur blues-rock très américanisé. Du coup, Marianne Faithfull se l’approprie et en fait rapidement un tube. Et, lorsque son mariage part en carafe, elle s’installe chez Brian Jones, guitariste des Stones et entame une houleuse liaison avec Mick Jagger, puis une aventure éphémère avec Keith Richards. Accro à l’héroïne, elle écrit Sister morphine en 1968, bientôt popularisée par les Stones, qui la reprennent en 1971 sur leur album Sticky fingers. Puis, le grand vide…

 

Broken English (1979)
brokenenglishLe succès. De cures de désintoxication en rechutes, Marianne Faithfull file du mauvais coton au début des années septante. Sa carrière au théâtre ne décolle pas et, malgré le duo I got you babe avec David Bowie – qui sera également son amant – ses albums passent inaperçus. Il faut attendre la fin de la décennie et la déferlante punk sur la perfide Albion pour que Marianne Faithfull refasse enfin surface. En 1979, elle signe Broken English, qui reste à ce jour son chef-d’œuvre et son plus grand succès commercial. Avec sa voix nouvellement éraillée à cause de quinze ans d’abus et ses arrangements disco minimalistes, elle devient une égérie désenchantée du mal-être d’après la crise pétrolière. Le titre phare de l’album est inspiré par la figure terroriste d’Ulrike Meinhof, membre effrayant de la bande à Baader, notamment avec cette litanie «what are you fighting for?» (pour quoi te bats-tu?) qui garde encore tout son sens aujourd’hui. Sur ce disque d’une incroyable cohérence, elle reprend également The ballad of Lucy Jordan, de Dr Hook, qui figurera sur la bande originale de Thelma et Louise, et le fameux Working class hero de John Lennon.

 

Before the poison (2005)
before-the-poisonLa résurrection. Sans jamais retomber totalement dans l’anonymat (elle chante notamment sur The memory remains de Metallica en 1997), Marianne Faithfull n’atteint plus les sommets. Sur les planches, elle interprète L’opéra de quat’sous de Bertold Brecht – Kurt Weill. Sur disque, elle multiplie les reprises pour Vagabond ways en 1999 (Roger Waters, Leonard Cohen), puis elle collabore avec la fine fleur des stars du moment en 2002 pour Kissin’ time (Dave Stewart, Jarvis Cocker, Blur, Billy Corgan, Beck, Etienne Daho et Les Valentins). Très marquée par les attentats du 11 Septembre à New York, elle coécrit avec PJ Harvey et Nick Cave un disque sombre et traumatique intitulé Before the poison. Accueilli fraîchement à l’époque, il marque néanmoins la résurrection de Marianne Faithfull, dont la voix colle parfaitement à la noirceur de complaintes tels Desperanto ou There is a ghost. Par la suite, elle poursuit sur la voie des reprises avec la jeune génération sur les excellents albums Easy come, easy go (2008) et Horses and high heels (2011). 

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