Gloria Swanson, firmament et crépuscules (7)

Dans les années 1920, Gloria Swanson était considérée comme l’une des plus grandes stars d’Hollywood. Mais le déclin du cinéma muet la laissa en rade, jusqu’à son magistral retour dans Sunset Boulevard. Avant de retomber dans l’oubli…
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Christophe Dutoit

Aujourd’hui, nous allons vous raconter l’histoire d’une jeune fille qui voulait devenir une star, qui y est parvenue au milieu des années 1920, au moment de l’âge d’or d’Hollywood, qui a gagné des millions de dollars et qui a dépensé l’intégralité de ses millions de dollars, qui est tombée dans l’oubli lorsque le cinéma est devenu parlant, qui a vécu l’un des retours en scène les plus triomphants en 1950 et que seuls les cinéphiles semblent encore connaître, alors qu’elle se targuait de recevoir 10000 lettres d’admirateurs par semaine lorsqu’elle était au firmament de sa gloire. Cette dame se nomme Gloria Swanson et voici son histoire.

Comment ne pas résister à l’envie d’imiter la voix off du narrateur de Sunset Boulevard pour dresser le portrait de cette actrice considérée comme l’une des plus extravagantes et des plus charismatiques figures de l’histoire du cinéma.

«Le public nous demandait de nous comporter comme des rois et des reines et c’est ce que nous avons fait»

Gloria Josephine Mae Svensson naît à Chicago le 27 mars 1899. A l’âge de 15 ans, elle apparaît pour la première fois au cinéma aux côtés d’un jeune comédien nommé Charlie Chaplin, qui réalise là ses premiers courts métrages.

«Avec ses yeux bleus perçants et sa large mâchoire, elle n’était pas à vrai dire une beauté classique, lit-on dans l’une de ses biographies*. Mais sa sensualité agressive la rendait irrésistible.» Cantonnée à une jeune sténographe dans His new job, alors qu’elle avait postulé pour le rôle principal, elle se fait rapidement remarquer par les magnats d’Hollywood, qui ne tardent pas à l’engager et à la faire tourner dans une série de mélodrames pour midinettes (Après la pluie, le beau temps, en 1919, ou L’échange, en 1920) sous la direction de Cecil B. DeMille, dont elle devient la maîtresse.

Six mariages et plein d’amants
Comme à l’écran, la vie sentimentale de la jeune fille est pour le moins tourmentée. Elle épouse l’acteur Wallace Beery, qui la viole le soir de sa nuit de noces, le jour de ses 17 ans. Puis, ce sera le tour du financier Herbert Somborn, puis le marquis français James Henri Le Bailly de La Falaise, le séducteur Michael Farmey, le millionnaire alcoolique William Davey et enfin l’écrivain William Dufty. Malgré ses six mariages, «elle ne trouva pas dans un homme l’amour qu’elle éprouvait pour elle-même» et collectionne les adultères, les avortements et les amants les plus célèbres, à l’image de Joseph P. Kennedy, le père du futur président des Etats-Unis, qui géra aussi bien ses finances que ses chagrins. Mais, comme «elle possédait une telle conviction de sa propre valeur qu’elle terrifiait la masculinité de ses époux et de ses amants», toutes ses aventures se terminaient en eau de boudin.swansonc

Au-delà de sa libido exacerbée, de son incroyable pouvoir de séduction et de sa vie amoureuse déraisonnable, Gloria Swanson devient l’archétype de l’extravagance et de la sophistication. Elle porte des chapeaux ornés de plumes d’autruche, des voiles de mousseline, des boas interminables. Au faîte de sa gloire, elle signe un contrat d’un million de dollars par année. «En 1924, un magazine rapporte qu’elle a dépensé un demi-million de dollars en bijoux, 50000 $ en robes, 25000 $ en fourrures, 10000 $ en lingeries, 9600 $ en bas de soie, 6000 $ en parfums, 5000 $ en sacs à main.» N’en jetez plus!

 «Comme des rois et des reines»
«Le public nous demandait de nous comporter comme des rois et des reines et c’est ce que nous avons fait», se défend-elle dans son autobiographie Swanson on Swanson, parue en 1980.

Du haut de son mètre cinquante, elle devient alors de plus en plus autoritaire, demandant sur les plateaux à se déplacer sur une chaise à porteurs, tandis que les techniciens et les autres acteurs devaient se prosterner à son passage. Surtout, elle aligne les succès, à l’image de Faiblesse humaine (1928) ou de L’intruse (1929), deux films qui lui valent des nominations aux oscars, sans toutefois décrocher les honneurs suprêmes.

Au début des années 1930, l’avènement du cinéma parlant réduit au silence l’arrogante hégémonie de Gloria Swanson sur Hollywood. Elle connaît alors son premier crépuscule, avant de rebondir dans Sunset Boulevard en 1950. Et de retomber dans l’oubli jusqu’à sa mort, dans son sommeil, en avril 1983.

Sur sa pierre tombale, elle aurait aimé que soit gravée cette épitaphe: «She paid the bills (elle a payé son dû), car ce fut l’histoire de ma vie privée.» On aurait aussi pu imaginer «je suis prête pour mon gros-plan, Monsieur DeMille», tiré de la célèbre réplique à la fin de Boulevard du crépuscule

* Stephen Michael Shearer, Gloria Swanson – The Ultimate Star, Thomas Dunne Books

 

Flamboyante Norma Desmond

A l’aube des années 1950, Gloria Swanson vit recluse dans ses opulents appartements new-yorkais et se contente de quelques apparitions dans des shows télévisés. Ses derniers rôles parlants, quinze ans plus tôt, ont été des échecs et ils ont mis un terme prématuré à ses ambitions de reine d’Hollywood.

Entre deux divorces et la lutte contre un cancer, elle ne sait pas encore qu’elle va bientôt connaître l’un des come-back les plus retentissants de l’histoire du cinéma. En effet, le jeune réalisateur Billy Wilder – qui vient de décrocher quatre oscars pour Le poison, en 1945 – prépare un film qui met en scène une vedette du cinéma muet sur le retour.swansonb

Pour incarner cette Norma Desmond, il pense d’abord à Mae West, qui refuse, car, à 55 ans, elle se trouve trop jeune pour le rôle. Mary Pickford décline également la proposition, persuadée que le film ternirait son image. Pola Negri pique une colère noire à l’idée de jouer une has-been. Le cinéaste essaie même de convaincre la sublime Greta Garbo (qui n’a plus tourné depuis dix ans). Sans succès.

Sur le conseil de George Cukor, il contacte alors l’«inaccessible» Gloria Swanson et lui demande de passer une audition, ce qui a pour effet d’agacer au plus haut point l’actrice qui lui rétorque: «Vous savez, sans moi, la Paramount n’existerait pas!»

Lors du casting, l’égérie des années vingt est si impressionnante dans la peau de cette actrice aigrie et pathétique que Billy Wilder décide non seulement de lui confier le rôle, mais surtout de le réécrire à sa démesure. 

Flamboyante, notamment dans les scènes où elle imite Charlie Chaplin, Gloria Swanson hisse Sunset Boulevard (Boulevard du crépuscule) au rang de chef-d’œuvre du cinéma et d’hommage sublime au septième art. 

Avec ses dialogues cultes («Vous étiez une géante», dit Joe Gillis. «Je SUIS une géante, lui rétorque-t-elle. Ce sont les films qui sont devenus petits…») et la manière incroyable avec laquelle son visage exprime ses émotions intérieures, Gloria Swanson trouve en Norma Desmond le rôle qui l’impose à la postérité. Nominée pour la troisième fois aux oscars, elle échoue encore, davantage à cause de son passé chargé que pour les qualités de Judy Holliday, sa devancière elle aussi oubliée.

Boulevard du crépuscule, de Billy Wilder, avec Gloria Swanson, William Holden et Erich von Stroheim, disponible en DVD (Paramount)

 

Ce qu’en disait l’époque

«Gloria Swanson n’a pas été la première actrice hollywoodienne à gagner un million de dollars en une année. Mais elle a été la première à le dépenser.» The Daily Express

«Elle est la star de toutes les stars.» Cecil B. DeMille

«Elle était difficile, narcissique et exempte de toute sincère modestie. Elle était son propre pire ennemi.» Stephen Shearer, son biographe

«Avant qu’Hollywood ne se mette à créer des stars, une poignée de stars ont créé Hollywood et Gloria Swanson en faisait partie.» Stephen Shearer

«Nous étions toutes des pouffiasses, mais aucu-ne n’était aussi cinglée qu’elle.» Mae Murray

«Telle une relique égoïste qui se languit désespérément d’entendre à nouveau les applaudissements de la foule, Miss Swanson domine Sunset Boulevard. Même lorsqu’elle n’apparaît pas à l’écran, sa présence est ressentie comme la puissante odeur de tubéreuses qui pèse sur la splendeur encombrée de souvenirs de sa demeure de Beverly Hills.» The New York Times, 1950

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Posté le par admin dans Cinéma, Vedettes oubliées Déposer votre commentaire

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