David Hamilton, innocence et controverse (2)

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Vedettes oubliées (2). Dans les années 1970, David Hamilton est devenu mondialement connu pour ses portraits de jeunes filles nimbées dans un flou artistique. Retiré à Ramatuelle, l’Anglais est aujourd’hui au purgatoire de la photographie.

par Christophe Dutoit

Durant les années septante, David Hamilton publiait un recueil de photographies chaque année, qu’il écoulait en général à 100000 exemplaires. «Un million de livres vendus et des millions de fantasmes! affirme-t-il vingt ans plus tard*. Cela montre bien la vraie soif de liberté qui régnait à l’époque et qui me semble en récession.»

Qui se souvient aujourd’hui de ses portraits de jeunes filles à la fleur de la puberté, ces lascives ingénues vêtues d’un flou artistique évanescent et baignées d’une lumière pastel que seule la Côte d’Azur sait dessiner? Plus grand monde sans doute, depuis que de nombreuses affaires de pédophilie ont ouvert les yeux d’une société parfois trop naïve sur ces fruits défendus, objets d’obscurs désirs.

J’avais des boulots sérieux avant d’être photographe.

Mais revenons à cet Anglais, né en 1933, qui vit toujours à Ramatuelle. Après avoir grandi à Londres, il s’exile à Paris au début des années soixante et travaille comme metteur en page au magazine Elle, puis comme directeur artistique des magasins Printemps. «J’avais des boulots sérieux avant d’être photographe. A la grande époque, je recevais Jack Nicholson ou Tony Curtis à la maison. Ils venaient draguer ma femme…»hamiltonf

Un beau jour de 1965, ses patrons en ont eu marre de son arrogance, de son bronzage tropézien, de son Aston Martin DB2, de ses costumes de grands tailleurs alors qu’eux-mêmes se contentaient de prêt-à-porter… «Pendant ces années de vie facile, j’avais cependant pris goût à la photographie.»

Avec son Minolta, son objectif 50 mm et quelques pellicules Ektachrome, il réalise ses premières photos de mode sur une plage d’Agadir. «Je suis un instinctif qui ne connaît rien du tout à la technique. Je n’ai jamais eu de studio. N’importe quelle chambre d’hôtel faisait l’affaire, dans un pays ensoleillé.»

Très vite, il définit son idéal féminin: «J’aimais la beauté nordique, une certaine ossature, des peaux et des yeux clairs: la compagnie régulière de deux ou trois Suédoises m’a aussitôt valu une réputation à Saint-Tropez, raconte-t-il dans une interview. Désormais, toutes ces filles sont grands-mères. Je les ai saisies avant la routine, avant que leur vie ne devienne sérieuse.»

«Nus embués de lumière»
Très vite, dès la parution de son premier livre en 1971, David Hamilton provoque l’émotion. «On ne peut que s’émerveiller devant ses nus embués de lumière de délicatesse, chastement éclairés d’ombres, devant ces jeunes filles à chapeaux qui se découpent sur un ciel de petit matin après l’orage, aux teintes délicates, comme peintes à l’aquarelle. Certains portraits mériteraient d’être agrandis en posters.»

Mes photos sont éternelles, elles ne datent pas, elles ne possèdent aucune trace de modernité.

L’avenir donne très rapidement raison à ce journaliste de la Nouvelle Revue de Lausanne. En quelques années, les chambres des adolescentes se recouvrent des portraits sensuels de David Hamilton, que certains considèrent hâtivement comme le meilleur photographe du monde. «Mes photos sont éternelles, elles ne datent pas, elles ne possèdent aucune trace de modernité. On reconnaît immédiatement mon style. Je crois que l’intérêt qu’on mhamiltonbe porte est aussi lié à la nostalgie, à un âge de l’innocence qui est bien terminé.»

Aussi étrange que cela puisse paraître, David Hamilton n’a, tout au long de sa carrière, jamais eu envie de choquer ni de faire scandale. «Aujourd’hui, chez les artistes, on ne s’intéresse plus à la beauté, affirme le Candide. Tout n’est que colère, violence: plus c’est vulgaire, mieux c’est.» Bien au contraire, le photographe avoue avoir été influencé aussi bien par les maîtres de la peinture (Raphaël, Vermeer, Degas) que par des pionniers de la photographie comme Gustave Le Gray ou Robert Demachy, le chef de file des pictorialistes. D’ailleurs, il affirme haut et fort que «la beauté est plus dans le regard que dans le sujet».

Nina Ricci et filtres Cokin
En moins d’une décennie, le photographe atteint une notoriété mondiale, expose à Londres, Paris, Tokyo, Milan, New York, crée l’identité visuelle des parfums Nina Ricci ou fait partie du jury de la 3e Triennale internationale de la photographie de Fribourg… Dans la foulée de ce succès, bon nombre d’amateurs adoptent le style «hamiltonien» (terme entré, puis ressorti des dictionnaires). Jamais les bien nommés filtres Cokin n’auront été autant vendus dans les magasins de photo!

Il faut bien reconnaître que David Hamilton a inventé un style immédiatement identifiable: tons pastel, avalanche de filtres, courses au ralenti sur la plage avec poitrines en fleur rebondissant tendrement…

Face à une telle déferlante, le cinéma lui tend les bras. En quelques années, il tourne cinq films aux limites de l’érotisme, interdits aux moins de 18 ans dans les salles.

«Son temps à enlever sa robe»
La lecture d’une critique de Premiers désirs (1983) ne laisse d’ailleurs planer aucune équivoque: «Il faut bien reconnaître que David Hamilton a inventé un style immédiatement identifiable: tons pastel, avalanche de filtres, courses au ralenti sur la plage avec poitrines en fleur rebondissant tendrement… Reste une jeune première peu farouche, Emmanuelle Béart (tout juste 20 ans à l’époque), qui passe son temps à enlever sa robe.» On en vient presque à regretter qu’il ait refusé de mettre en scène Emmanuelle…

*A lire sur le sujet: David Hamilton, Vingt-cinq ans d’un artiste, Denoël

Du firmament au purgatoire

«Il n’y a pas loin du Capitole à la roche tarpéienne.» Combien de fois David Hamilton a-t-il médité cette sentence depuis le milieu des années nonante et la mise au jour des plus sordides affaires de pédophilie que l’ère moderne a connues. Aussi vite le photographe s’est-il retrouvé au firmament, aussi lourde fut sa plongée dans le purgatoire de l’anonymat. Car, bien qu’il n’ait jamais été poursuivi directement en justice, son attitude envers ses très jeunes muses dénudées a soulevé le doute.

Un de ses modèles témoigne: «J’étais fan de ses photos, que je trouvais romantiques et belles à pleurer. Pour des gamines ados de mon âge, c’était la quintessence de la jolie photo très classe de fille-fleur et avoir été choisie pour poser devant son objectif aurait été un honneur incroyable. Pas de bol, je n’avais pas le genre qui plaisait au maître, pas assez évanescente, pas de côté liane sensuelle et faussement ingénue, les cheveux trop courts, l’air trop espiègle», raconte Monolecte, blogueuse associée au magazine Marianne. Qui poursuit: «Le camp de naturistes du Cap était le terrain de chasse du grand monsieur et l’on murmurait, à l’ombre des dunes, qu’il ne dédaignait pas essayer quelque peu ses jolis petits modèles…» De quoi laisser perplexe.hamiltone

Comme l’affirme le chroniqueur Brice Couturier, «aujourd’hui, nous ne pouvons plus regarder ni publier dans des magazines les images de David Hamilton». Voués aux gémonies, ses nus ont perdu leur vocation artistique. «Le regard a substitué la pédophilie là où l’on ne percevait auparavant que la fraîcheur», écrivait l’an dernier Anne Diatkine dans un papier de Libération.

Pire encore. Récemment, une cour de San Diego a reconnu coupable de «possession de photographies indécentes d’enfants» un homme qui avait acheté des livres d’Hamilton. Qui l’aurait cru vingt ans plus tôt?

Aux côtés de Balthus ou Nabokov
Aujourd’hui, ses clichés maudits sont mis à l’index au titre de perversité. Sur la couverture d’un de ses recueils paru en 2007, on a même recadré un pubis qu’on ne saurait plus voir. Livre qui n’a même pas trouvé d’éditeur outre-Atlantique… Renié par le public, David Hamilton rejoint ainsi des grands noms au panthéon des artistes honnis pour leur penchant libertin envers les jeunes filles. Il y côtoie Balthus, et ses fillettes érotisées, Nabokov, géniteur du sulfureux Lolita ou Lewis Carroll, auteur d’Alice au pays des merveilles. De bien belles compagnies, somme toute, pour un photographe qui n’a été que très peu goûté par les critiques de son temps…

 

Ce qu’en a dit l’époque

«Des photographies délicates, d’une facture impressionniste prodigieuse, d’une poésie empreinte de romantisme, baignée d’une lumière douce, irisée, caressante, veloutée, irréelle, que ne renieraient ni Bonard ni Monet.» Nouvelle Revue de Lausanne (1971)

«Laura, les ombres de l’été ressemble à un amalgame grinçant d’éléments qui plaisent au grand public. L’artiste qui crée par souci de gagner de l’argent est aussi condamnable qu’un intellectuel corrompu.» Philippe Kenel (24 heures, 1980)

«Le flou est un supplice. On n’en peut plus de la dentelle, des jeunes filles blêmes qui s’embrassent sur la bouche, des poses vaporeuses.» Anne Diatkine (Libération)

«Il y a trente ans, chacun avait son Hamilton chez soi.» Jean Genoud, imprimeur d’art au Mont-sur-lausanne

«Lorsqu’on écrira, avec le nécessaire recul, l’histoire de l’art photographique, le nom de David Hamilton trouvera sa place parmi les très grands.» Marc Tagger

 

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