BBI: conjuguer le mot «art» au singulier et au pluriel

Dès aujourd’hui et jusqu’au 5 juillet, le Belluard Bollwerk International (BBI) propose performances, concerts, danse, installations… Rencontre avec son nouveau et futur ex-directeur, Cis Bierinckx.

Cis Bierinckx©C.Lambert
Par Xavier Schaller
L’affiche de cette 31e édition, sans image, affirme «We art open». Comment est-elle née?
J’ai décidé, en réaction au fréquent bombardement et à l’omniprésence des images dans notre société contemporaine, d’utiliser une affiche seulement avec des mots. Les mots perdent dans notre vie de plus en plus leur valeur. On les utilise moins à cause de la communication électronique, où ils ne sont plus nécessaires.

On a aussi pris la décision de conjuguer le mot «art». Un mot qui n’est pas encore un verbe, mais c’est notre effort et notre envie de le traiter comme tel. Un verbe que tout le monde sait conjuguer et que tout le monde comprend. En même temps, l’affiche du festival dit «We art open», preuve que le festival a un esprit ouvert, que le festival s’adresse à tout le monde et que le festival a commencé.

Comment êtes-vous arrivé à la tête du Belluard à Fribourg?
Je suis belge mais, lorsque j’en ai pris la direction en août 2013, je connaissais déjà bien la maison. L’histoire remonte à 1987, à New York, où j’ai rencontré les fondateurs du festival. Nous sommes devenus amis et ils m’ont demandé de prendre en charge la programmation de la dixième édition, en 1993. J’ai ensuite été deux fois coprogrammateur et, depuis, je suis toujours resté en contact avec des gens actifs dans l’organisation.

Mon parcours personnel serait un peu trop long à expliquer. Je me considère comme une espèce de caméléon, car je ne m’intéresse pas seulement aux arts vivants. Ma première passion était le cinéma. J’ai organisé un festival de cinéma documentaire, mais aussi un autre de jazz, des expositions.

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Votre engagement portait sur trois ans, mais vous quitterez votre poste après cette première édition. Pourquoi?
Pour des raisons personnelles, qui n’ont rien à voir avec le BBI. J’ai longtemps mis ma vie privée entre parenthèses et donné la priorité à mon activité professionnelle. Maintenant, je n’ai pas d’autres projets que celui de rejoindre ma femme à Dusseldorf, où elle dirige un espace de danse. C’est involontairement un retour à l’origine pour le festival. Il y a vingt ans, le programmateur changeait à chaque édition.

En une année, avez-vous eu le temps d’imprimer votre marque à l’événement?
J’ai un grand respect pour la forme et l’idéalisme du festival. Je n’allais pas commencer à jongler avec de grandes productions. Dans la tradition du BBI, il faut trouver l’équilibre entre artistes reconnus et les découvertes – le festival sert souvent de tremplin pour de jeunes artistes. Et j’ai continué à mettre l’accent sur le contenu, avec de nombreuses «créations maison».

Ensuite, chaque programmateur construit avec ses propres sources, son histoire, sa génération. Personnellement, je tiens beaucoup à la communication avec le public. Créer un dialogue avec le public, c’est vraiment la raison pour laquelle je continue à faire de la programmation. Pour moi, l’art est pour tout le monde. Il ne faut pas que les gens soient effrayés par l’art, et l’art contemporain en particulier.

Tout le monde comprend l’art. La vie est bien plus complexe et plus difficile à comprendre

Pourtant l’art contemporain et le Belluard sont souvent considérés comme élitistes.
Tout le monde comprend l’art. La vie est bien plus complexe et plus difficile à comprendre. Tous les spectateurs ou auditeurs ont une pensée, de l’imagination. Ils doivent devenir mentalement des participants de ce qui est présenté et non des consommateurs passifs.

Pour cette édition, les artistes ont été choisis dans cette optique. Ils racontent des histoires, s’intéressent au quotidien des gens, que ce soit à Fribourg, en Corée ou au Liban. Il y a aussi une sorte de constat commun aux spectacles que nous proposons: «Le monde pourrait être meilleur que maintenant.»

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L’artiste libanais Rabih Mroué est présenté comme un point fort du BBI 2014…
Mon idée est d’ouvrir le premier week-end avec un artiste phare. Auteur, metteur en scène, acteur, Rabih Mroué est un des plus importants artistes contemporains, avec une grande reconnaissance internationale. Je ne voulais pas seulement proposer ses prestations, mais aussi donner l’occasion au public de le rencontrer et d’échanger avec lui.

Le concours a été supprimé cette année…
Le Spots&dots, une ballade artistique dans la ville, remplace le concours des précédentes éditions. Cinq artistes, de différents domaines (vidéaste, performer, écologiste), ont préparé des projets de dix à vingt minutes qui se déroulent dans différents endroits de Fribourg. Comme les musées, qui sortent maintenant de leurs murs, nous utilisons la ville. L’art devient plus une rencontre qu’une visite obligée.

Nous voulons aussi créer des synergies avec les autres acteurs culturels de Fribourg: travailler ensemble pour développer une communauté d’art, aussi en dehors du festival. Fribourg est une ville qui est prête à bouger, avec de superbes initiatives: le port de Fribourg, le jardin aux betteraves, le FIFF qui n’est pas un petit festival, Fri Art, un centre très actif, le Festival de musiques sacrées aussi… Ces initiatives donnent à Fribourg un trésor. C’est important que ce trésor soit utilisé, reconnu et soutenu. C’est ce qui donne un visage à la ville.

 

Un dialogue avec le public
Haus der Kulturen Berlin Documentary Forum 1Le Festival Belluard Bollwerk International (BBI) s’ouvre aujourd’hui à Fribourg. Jusqu’au 5 juillet, cette 31e édition présentera une vingtaine de prestations, que le nouveau directeur Cis Beirinckx a axées sur le dialogue entre les artistes et le public. Le Libanais Rabih Mroué est l’artiste phare du BBI 2014. Porte-voix de la critique sociale, il questionne la mémoire, la responsabilité individuelle et les représentations dans les médias. A travers une exposition, une pièce de théâtre, une performance et un débat, le public pourra découvrir les nombreuses facettes de cet artiste reconnu.

Dans Experiments in animation, quatre artistes, issus aussi bien du cinéma que des arts visuels, proposent une immersion dans le monde de l’image animée. Un voyage à travers diverses
esthétiques graphiques, climats politiques et influences philosophiques. Pflege und Verpflegung, créé à la demande du BBI par le Zurichois Tim Zulauf, se présente comme un théâtre policier. Il traite en même temps d’une actualité brûlante: le soin des personnes âgées et le personnel hospitalier étranger. A découvrir aussi en première suisse, l’Angolais Nastio Mosquito présente S.E.F.A. Son projet audiovisuel acide, mêlant chansons, vidéos et textes, passe au peigne fin l’état du monde globalisé. En plus de l’Ancienne Gare et de l’enceinte médiévale du Belluard, le festival investit l’espace public et collabore cette année avec le cinéma Rex, Fri Art et le Bilboquet.
Programme complet sur www.belluard.ch

 

Posté le par Eric dans Beaux-Arts, Danse, Exposition, Inclassable, Musique, Spectacles, Théâtre Déposer votre commentaire

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