Gotlib, ce génie sans âge

Incroyable, Marcel Gotlib a 80 ans! Enfin, bientôt. L’occasion est belle de célébrer l’éternel jeune homme qui, en une vingtaine d’années, a redéfini la BD dans la dérision la plus totale.

Gotlib et Haendel
Par Romain Meyer
Les proches de Marcel Gotlieb – dit Gotlib – prétendent qu’il est un dépressif chronique. Une assertion difficile à croire lorsque l’on juge l’homme à ses créations: Hamster Jovial, Pervers Pépère, la coccinelle, Gai-Luron, Bougret et Charolles, Isaac Newton (oui, oui, le vrai, c’est lui!). Mais aussi Georges Brassens, les Beatles et Jean-Pierre Melville en chapeau à plume (c’est toujours lui)…

Gotlib, c’est un esprit en effervescence auquel il aura suffi de quelques années pour donner une dimension plus adulte à la bande dessinée. Il n’est pas tout seul dans l’affaire, mais c’était bien lui le porte-drapeau sur la barricade. Entre 1965, moment où il entre dans le magazine Pilote, fondé par René Goscinny – le père d’Astérix, avec qui il fera les Dingodossiers –, et 1988, date à laquelle il décide d’arrêter de dessiner, cet enfant d’immigrants juifs hongrois a fait souffler une tornade de liberté et de non-sens sur le 9e art.

Pas surprenant dès lors qu’à l’aube de son 80e anniversaire – le 14 juillet, normal, pour l’un des créateurs de Superdupont – une grande exposition parisienne lui soit consacrée. Plus étonnamment, quand on connaît son athéisme iconoclaste, c’est le Musée d’art et d’histoire du judaïsme qui accueille cet hommage et fait paraître un catalogue d’exposition très documenté.

GotlibafficheDe «Vaillant» à «Fluide glacial»
On y trouve plusieurs éléments rares: les premières planches pour le magazine Vaillant – futur Pif Gadget – en 1962, mais aussi des couvertures emblématiques, comme celles de L’Echo des savanes qu’il aide à fonder en 1972 avec Claire Brétécher et Nikita Mandryka. L’arrivée de ce trimestriel change tout. Dorénavant, on ose dans la BD: le langage et le dessin se libèrent. L’humour est noir, absurde, transgressif. Un seul sujet reste intouchable pour le créateur de la Rubrique-à-Brac: la Shoah. Il faut dire que le père de Gotlib est mort dans le camp de Buchenwald et que lui-même, enfant caché, a dû porter l’étoile jaune.

Gotlib ne participe qu’à une dizaine de numéros de L’Echo. Poursuivant sa volonté d’émancipation, il crée son propre magazine en 1975, Fluide glacial, et signe alors un incroyable casting d’auteurs: Alexis, Edika, Goossens, Binet, Masse font partie de la jeune première équipe. Franquin y apportera ses extraordinaires Idées noires. Peu à peu, Gotlib pose ses pinceaux, se met à l’écriture. Dans les années 1990, il publie quelques textes biographiques, dont J’existe, je me suis rencontré, qui vient de ressortir.

gotlibfluide

Décrypteur
S’il y a de la fanfaronnade et de l’autodérision chez le futur octogénaire, c’est peut-être par-ce qu’on trouve dans ses œuvres une grande nostalgie et beaucoup de timidité. Nostalgie des rêves d’enfance habilement détournés, mais remplis d’émerveillement.

Toujours, il prend le contre-pied, détourne, démystifie et recrée. Comme il le fait pour les classiques de l’histoire, du cinéma, des contes ou de la musique – de Frank Zappa à Sergio Leone, des Cinq dernières minutes à Eisenstein et Victor Hugo.

Gotlib analyse et traduit dans la dérision tous les codes de la société des Trente Glorieuses. Il est un miroir déformant de la culture et de l’époque de Gaulle et Pompidou, suivant les pas de ses grandes influences comme Tex Avery ou Harvey Kurtzman, le dessinateur du magazine satirique américain Mad.

On pourrait aussi parler des amitiés et des collaborations tissées au fil de sa carrière: Patrice Leconte, qui réalise son premier film avec lui et Coluche (peu avant Les Bronzés), les Monty Python, Richard Gotainer, Pierre Tchernia, Les Nuls, René Goscinny et tous les compagnons de la BD déjà cités, auxquels on peut rajouter Moebius…

Un génie, Monsieur!
Alors, Gotlib ne serait qu’un catalogue mondain du meilleur humour? Il ne se définirait que par les autres? Non! Gotlib est un génie tout seul. On pourrait s’arrêter là, mais on nous taxerait de pure subjectivité. Il faut en apporter la preuve, une preuve incohérente, détournée, déraisonnable, voire absurde. Mais on nous critiquerait, avec raison, de faire du Gotlib. Justement! Qui d’autre qu’un génie pourrait donner son nom à un style, une façon de faire, une audace créatrice, un ton justement inimitable même lorsqu’il rappelle tout le monde? Un jeune génie, on vous dit. C.Q.F.D. (c’est qu’il fallait déconner).

Les mondes de Gotlib, Dargaud/Musée d’art et d’histoire du judaïsme

Notre avis: ♥♥♥

Posté le par Eric dans BD, Humour Déposer votre commentaire

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