Carlos Henriquez: rire de nos différences, par-delà le Röstigraben

Carlos Henriquez est de passage à Treyvaux samedi. L’humoriste neuchâtelois présente I bi nüt vo hie: un spectacle en suisse allemand, sur nos différences bien helvétiques.

Carlosli
Par Eric Bulliard
Il s’est fait connaître en Fernand, un des trois petits vieux des Peutch. Venu de l’improvisation, Carlos Henriquez a choisi le suisse allemand pour son premier spectacle solo. La langue de sa mère, à défaut de sa langue maternelle. I bi nüt vo hie s’amuse des particularités helvétiques et du Röstigraben, à travers un comédien et humoriste romand (il a vécu à Bienne, à Neuchâtel, à Lausanne…), espagnol par son père et lucernois par sa mère. Le spectacle est présenté ce samedi à L’Arbanel de Treyvaux et le 14 mars à Nuithonie, à Villars-sur-Glâne.

I bi nüt vo hie a été conçu pour un public alémanique, mais vous l’avez déjà joué en Suisse romande: comment se passe
la réception ici?
J’ai ressenti une bienveillance étonnante. Ce spectacle se moque des deux côtés du Röstigraben. Quand je ris des Suisses allemands, ils rigolent de bon cœur, mais ils me trouvent un peu sévère sur les Romands! L’inverse arrive aussi: les Romands aiment bien quand je me moque d’eux, mais quand il s’agit des Suisses allemands… Quoique, avec les dernières votations, peut-être qu’ils seront contents!

L’autre différence, c’est que je fais des erreurs en suisse allemand, que l’on ne capte pas forcément ici: les Alémaniques se moquent de ma façon de parler, mais les Romands n’oseraient pas, parce que souvent ils ne le parlent pas mieux!

On essaie de nous dire que nous formons une seule nation, mais on ne connaît pas notre voisin. J’ai été moins dépaysé en jouant à Montréal qu’à Zurich

Vous montrez surtout à quel point nous nous connaissons mal…
C’est une des raisons pour lesquelles j’ai voulu faire ce spectacle: nous sommes un seul pays, on essaie de nous dire que nous formons une seule nation, mais on ne carlosconnaît pas notre voisin. J’ai été moins dépaysé en jouant à Montréal qu’à Zurich: en musique, en littérature, au cinéma, nous n’avons pas du tout les mêmes références. J’ai fait des spectacles d’improvisation, en bilingue, où l’on a parfois des catégories «à la manière de»: ils voient vaguement qui est Molière et nous, au forceps, Dürrenmatt, mais au-delà de ça… J’ai dit une fois qu’on pourrait chanter à la manière de Johnny Hallyday, ils m’ont dit: «De qui tu parles?»

Il reste le sport pour nous réunir…
Oui, c’est tellement étonnant d’entendre des copains me dire qu’ils détestent les Suisses allemands et, après, devant une course de ski, ils hurlent quand un Grison gagne… Alors qu’ils ne comprennent pas un mot de ce qu’il dit. Et au Français qui arrive deuxième, ils disent «bien fait»!

Mais, autant en Romandie je peux ressentir certains griefs envers les Suisses allemands, autant là-bas nous sommes très bien vus. Nous passons pour les gentils petits-cousins qui ne font pas de mal, des râleurs, des rigolos…

On dit aussi que nous n’avons pas le même sens de l’humour: le ressentez-vous?
Je connais mal leur humour, parce que je n’ai pas un niveau suffisant pour vraiment comprendre leurs humoristes. Mais j’avais envie d’amener chez eux l’humour que je ferais ici. De dire: nous sommes différents et je vais vous le prouver par l’exemple. Si je devais faire un stand up en français sur le Röstigraben, j’aurais écrit les mêmes textes et je les exporte tels quels.

Ici, n’aurait-il pas été envisageable de le jouer en français?
Au départ, c’était au maximum à Bienne que je voulais le jouer… Mais on me l’a demandé et j’ai vu qu’il y avait un public: à Montreux, la salle était pleine à craquer, deux soirs. Le jouer en français n’aurait pas d’intérêt: je parlerais trop bien… Et se moquer des Suisses allemands en français face à des Romands, je trouverais ça limite raciste.

Je préfère cette idée: vous allez entendre du suisse allemand pendant une heure et demie, peut-être que vous ne comprendrez pas tout, mais s’il y a un mot où vous vous dites «tiens, on dit ça comme ça», c’est déjà gagné. Finalement, avec quelques notions scolai-res, on arrive à suivre: à la sortie, les gens me disent souvent qu’ils ont compris plus que ce qu’ils imaginaient.

On découvre aussi l’image que les Suisses allemands ont de nous: par exemple que l’on carbure au vin blanc…
C’est venu des matches d’impro: quand on demande au public ce qu’est pour eux un Romand, ils disent rarement que nous sommes des travailleurs sobres! L’alcool vient très souvent, et surtout le vin blanc, alors qu’eux boivent plutôt de la bière. Je le cultive en l’exagérant, mais ce cliché-là existe.

Ces matches d’impro sont donc à la base du spectacle…
Oui, j’en ai fait en bilingue, avec des Suisses allemands, où je parlais français. Mais, comme je sais un petit peu le suisse allemand, je me suis risqué parfois et je sentais le public se marrer de voir cette espèce de gars avec un drôle d’accent. On m’a ensuite proposé de faire dix minutes, pour une scène ouverte, à Berne, en 2010, et j’ai parlé de nos différences. Ça devait être à la suite d’une votation… J’ai eu envie d’aller leur dire: sachez que les Romands ne vous aiment pas et c’est bizarre, parce que vous êtes cool! L’idée est partie de là.

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Quel rôle a joué Emil dans la création du spectacle?
On l’a rencontré avec Peutch, pendant la tournée du Knie. Nous avions essayé de traduire une partie, pour l’expérience et il nous a dit: «Ne faites pas ça! Si vous avez envie de jouer en suisse allemand, écrivez comme vous le parleriez!» J’ai enregistré ces dix minutes, je les ai envoyées à Emil et il a trouvé super. C’était ce qu’il avait imaginé: un Romand qui parle suisse allemand super mal, l’inverse de ce qu’il avait fait en français. Je lui ai demandé de me coacher un peu, principalement sur la langue. Je voulais garder cette identité romande, mais qu’on comprenne quand même ce que je dis.

Comment conserver au fil des représentations le côté spontané et les fautes de langue? Vous devez forcément améliorer votre suisse allemand…
Quand j’ai parlé de faire ce spectacle, ma mère m’a offert une méthode pour l’apprendre. Je lui ai dit que non, que mon but était justement de le parler mal, pour que ça reste charmant. Elle m’a répondu: «Tu as encore de la marge…» Jusqu’à ce que je le parle bien, il y a du boulot et c’est tellement ancré que je ne vais pas perdre mon accent avant longtemps…

Treyvaux, L’Arbanel, samedi 8 mars, 20 h. Réservations: Fribourg Tourisme, 026 350 11 00.
Villars-sur-Glâne, Nuithonie (en version surtitrée), vendredi 14 mars, 20 h.
www.carlos.li

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Posté le par Eric dans Humour, Spectacles, Théâtre Déposer votre commentaire

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