Pierre-Yves Massot, l’étrange beauté poétique de la banalité du quotidien

Actuellement locataire de la résidence du canton de Fribourg à Berlin, Pierre-Yves Massot expose sa série Where my mind is à Fri Art. Des images qui témoignent de sa récente émancipation de son passé de photoreporter.pymmontagne

par Christophe Dutoit

Ce pourrait être un inventaire à la Prévert. Un chien, un cheval blanc, un tronc d’arbre, une plume, un tunnel à peine illuminé, une pomme, une paire de cuisses… Mais, d’abord le noir.

Au premier étage de Fri Art, l’embrasure de la porte est obstruée par un rideau foncé. Peut-on entrer? Un rai de lumière attise la curiosité. A peine visible sur le mur du fond, une courte vidéo est projetée en boucle. Dans un noir et blanc très contrasté, un homme déambule dans la nature. Son visage est méconnaissable, perdu dans le halo de sa lampe frontale.

Entre les lignes, on comprend que l’homme errant est Pierre-Yves Massot, connu comme photographe de presse à La Liberté et au Temps. Un photoreporter, lauréat en 2004 d’un 1er prix de Swiss Press Photo, frustré de l’exiguïté du support papier. Un artiste qui remet depuis quelques années en doute sa pratique de l’image et qui recherche de nouvelles voies. «J’ai récemment repris des études d’histoire de l’art et de sociologie, car j’avais besoin de nouveaux outils.»pyma

Mais encore… Sans autre repère que la lumière réfléchie par l’écran, l’œil s’habitue peu à peu à la pénombre. Par chance, un furtif faisceau guide notre chemin. On tire un nouveau rideau.

Double expérience libératoire
La lumière aveuglante de la deuxième pièce nous fait ciller. L’effet est bluffant. Aux murs, une série de tirages carrés est alignée au cordeau. Une montagne noire, un mur, un éclat de soleil à travers les arbres, des orties. Les images se suivent et se répondent, dans un chaos maîtrisé.

«J’avais besoin de me libérer de ce mode narratif standardisé que l’on retrouve dans la presse, explique le photographe né en Avignon en 1977. Je voulais m’éloigner de cette efficacité didactique.» Sa série Where my mind is (référence à la chanson des Pixies) témoigne de cette double expérience libératoire. A l’aide d’un appareil Polaroid et des nouveaux films Impossible noir-blanc, il taille la route du Valais à la Slovénie. C’était en 2010. En chemin, il photographie sans idées préconçues des fragments de quotidien. Une voiture des années septante, un drapeau de pirate, une route tachée, un amas de branches, un autoportrait.

Epreuves originales disparues
De retour de l’Est, il scanne ses miniatures et les tire au format 60 x 60 cm sur un papier bas de gamme. «J’ai voulu conserver les imperfections du polaroïd, ses stries, ses poussières.» Pierre-Yves Massot aimait d’autant plus la matérialité de ces images que les épreuves originales ont fini par disparaître, la faute à une technique encore balbutiante à l’époque.

En Basse-Ville de Fribourg, ses photographies entrent en résonance avec l’imaginaire de leur spectateur. Comme un art poétique brut et sans artifice. Un état des lieux et des choses qui vaut par la qualité du regard de Pierre-Yves Massot, mais aussi par sa capacité à se détacher de ses clichés et à les livrer à toutes les interprétations.

«Souvent, on peine à saisir la temporalité de ses images, explique Balthazar Lovay, directeur du Centre d’art de Fribourg. Il y met peu d’éléments qui permettent de les dater. Ce qui leur confère une esthétique hors du temps.»

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Dans ce road-movie sans fin, l’être humain affiche son omniprésence par sa trace, par son bref passage. Bien que très personnelles, les images de Pierre-Yves Massot sont sans commune mesure avec l’abus d’autofiction qui empoisonne l’art actuel. Au contraire, le photographe livre un témoignage subtil de la beauté de l’homme à travers sa banalité.

Un horizon, une souche, un escalier. Finalement, ne manquent que les ratons laveurs.

Les chaleurs de Jason Loebs
Au rez-de-chaussée de Fri Art, un jeune artiste new-yorkais expose pour la première fois dans un musée. Agé de 34 ans, Jason Loebs travaille autour de l’idée que la thermodynamie peut être source de création. A l’image de ces reçus de grandes surfaces, qui noircissent pour la chaleur de son fer à repasser. Ou des pigments d’encre que l’on retrouve sur les dollars et qui réagissent à la chaleur.

Dans l’exposition, l’Américain a ainsi posé plusieurs «cailloux» – du minerai brut d’or, d’argent, de cuivre ou de silicium que l’on retrouve dans nos ordinateurs – enduits de ces pigments achetés à prix d’or au marché noir… Dans la seconde salle, il a également accroché aux cimaises des tirages photographiques réalisés à l’aide d’une caméra thermosensible, utilisée notamment sur les drones de l’armée. «Il a en quelque sorte “violé” son atelier avec cet appareil, pour en tirer par exemple une épreuve fantôme de son téléphone portable, qui a laissé la trace chaude de son passage sur sa table de travail.»

Au sous-sol, Fri Art projette quatre vidéos de Neïl Beloufa, un artiste franco-algérien qui joue avec les codes du documentaire, qu’il détourne avec des dérapages de narration.

Fri Art, jusqu’au 6 avril. Infos: www.fri-art.ch
vers le site de Pierre-Yves Massot

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