Raymond Depardon, photographe des marges et des lisières

depardoPhotographe français parmi les plus influents du XXe siècle, Raymond Depardon expose ses images en couleur au Grand Palais et publie un magnifique recueil intitulé Un moment si doux.

par Christophe Dutoit

Il y avait dans la cour de la ferme le tracteur de mon frère, un Massey Fergusson rouge, et la mobylette de Nathalie, ma nièce. Je ne pouvais pas photographier cela en noir et blanc. Tout à coup, la couleur m’est apparue comme une évidence.» En 1984, Raymond Depardon est photographe depuis plus de vingt-cinq ans déjà. De retour à Villefranche-sur-Saône, il accep­te pour la première fois que la couleur entre dans son œuvre artistique, en dehors des commandes qu’il honore.

Presque trente ans plus tard, le Français, qui figure parmi les photographes les plus influents du XXe siècle, expose à Paris une balade dans ses archives en couleur. «Un jour, j’ai inscrit un mot clé sur une boîte de photographies: “un moment si doux”, des images en couleur, distanciées, avec une certaine retenue.» Sur les murs du Grand Palais, quel­que 150 tirages témoignent de sa pratique depuis un demi-siècle, à commencer par un très bel autoportrait au scooter, pris en 1959 sur l’île Saint-Louis, en couverture du catalogue.depardonaffiche

A l’inverse de l’«instant décisif» prôné par Henri Cartier-Bresson, Raymond Depardon est passé maître du «temps faible», défini par l’absence d’événement. Une photographie où «rien ne se passerait, pas de couleurs ni de lumières magnifiques, pas de petit rayon de soleil, pas de chimie bricolée, sauf pour obtenir une extrême douceur», disait-il en 1993 déjà.

Le sentiment de réalité
La douceur, nous y voila. Que ce soit un tremblement de terre au Pérou (1974) ou la guerre civile à Beyrouth (1978), Raymond Depardon s’est toujours ingénié à «sublimer le réel en éliminant tout ce qui peut y faire sens, comme l’écrit le philosophe Clément Rosset dans sa préface. Le réel est le sujet, débarrassé de tout événement. Plus encore, le sentiment de réalité que ces images suscitent est le sujet.»

En porte-à-faux avec la grande tradition du photoreportage – «une démarche qui, à mes yeux, a perdu son sens» – Raymond Depardon s’éloigne peu à peu des fronts. Avec son recueil Notes (1979), il introduit la subjectivité dans son approche du reportage. «Il ne s’agissait plus de photographier l’événement, la guerre ou le conflit, mais ce qui se passait autour, dans les marges et les lisières.»

Très tôt, il invoque la frontalité des images de ses maîtres américains, Walker Evans et Paul Strand. «Pendant longtemps, on considérait en France qu’une photo se devait d’être compliquée», regrette-t-il dans la longue digression qui accompagne les images du catalogue.depardonglasgow

«J’ai appris à marcher»
L’occasion pour lui de ressortir de ses tiroirs des reportages inédits, comme cette commande du Sunday Times Magazine sur la ville de Glasgow en 1980, jamais publiée. «Glasgow est une ville très exotique. Le problème est alors de savoir comment éviter cet exotisme ou, au contraire, en jouer. C’est toute la question de la modernité en photographie.» Une série sublime, où la couleur intervient par infimes touches dans une atmosphère encore emplie de noirs denses.

Comme d’habitude, il faut prendre le temps de déguster les photographies de Raymond Depardon. A l’image de ses errances récentes en Amérique du Sud ou à Harare, où son regard se pose volontiers sur un coin de rue anodin ou une vieille dame de dos.

«Enfant, j’étais timide et être spectateur me convenait bien», se souvient le photographe âgé de 71 ans. Il avoue avoir appris à marcher, à expérimenter la bonne distance. «Parmi les cinquante photographes de Magnum, pas un n’a la même distance. Chacun a sa propre zone de regard.»

Raymond Depardon
Un moment si doux
Réunion des musées nationaux

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