Guy Oberson, une maîtrise à couper le souffle

Le Musée de Charmey accueille les œuvres récentes du Fribourgeois Guy Oberson. Une ode à la vie, bien que la mort plane irrémédiablement sur ses dessins.guyobersona

par Christophe Dutoit

Guy Oberson est décidément l’un des peintres fribourgeois les plus intéressants du moment. Jusqu’au 2 février 2014, il montre l’étendue de ses talents au Musée de Charmey, le temps d’une exposition à couper le souffle, dans tous les sens du terme.

En effet, rarement l’ancienne salle Valsainte n’aura été l’écrin d’un accrochage aussi estomaquant. Sur le grand mur, l’artiste glânois établi à Lentigny expose l’une de ses trois Personal mountains, titre donné en référence au disque du pianiste Keith Jarrett publié en 1989. Intitulées Carmine, quatre huiles côte à côte forment un fantastique panorama, une montagne en très grand format, déchaînée dans un camaïeu de tons rouge violacé.

Sans recul face à cette montagne monumentale, à la fois bien réelle et presque abstraite, le spectateur n’a pas d’autre choix que de se laisser submerger par la couleur, superposée en de subtiles couches très liquides. «J’utilise des glacis qui me permettent de conserver la transparence, explique l’artiste. J’ai mis six mois de travail à la poubelle jusqu’à ce que ça vienne.»guyobersonc

Cette œuvre d’une puissance prodigieuse évoque sans le dire les Rothko de la Tate Modern. Mais ici, les pinceaux brosses de Guy Oberson laissent les traces de sa gestuelle, alors que les couleurs tourbillonnent dans un souffle de tempête, où seule une trouée de ciel bleu permet un vague espoir.

Juste en face, dans une pénombre savamment entretenue, un homme vient de livrer son dernier soupir. Inspiré par le célèbre Corps du Christ mort dans la tombe, Guy Oberson donne à son Homme à la morgue (d’après Holbein) une ambiguïté intrigante. Si le spectateur fait abstraction du visage à l’extrême gauche, il ne distingue qu’un paysage de montagne dessiné à la pierre noire… Alors que, avec davantage de recul, le gisant retrouve toute sa force évocatrice.

Montagne noire et blanche
Ce genre de «coïncidences», l’artiste les utilise comme contrepoint au fil de son exposition. Ainsi, la montagne se décline en plusieurs chapitres. Deux autres Personal mountains dialoguent aux extrémités de l’exposition. A l’entrée, Black montre l’extrême dextérité de Guy Oberson dans son utilisation de la pierre noire, ce «fusain» minéral qui donne des tons extrêmement profonds, qu’il estompe en une myriade de lignes verticales. A l’étage, l’inverse se produit avec White, un diptyque à l’huile où la montagne tend au blanc presque monochrome, où les derniers signes de figuration semblent balayés par un brouillard enveloppant.

Mais cette fois, on vit le dernier souffle, comme le passage vers l’au-delà. Comme un dernier coup de racloir avant que le corps ne s’efface définitivement.

Toujours en dialogue, les toiles se répondent dans chaque espace. Ainsi, à côté de cette dernière montagne, Guy Oberson a placé deux toiles d’une force presque malsaine. Dans des tons rouge sang, Sacrifice montre un cerf que l’on imagine agonisant. Sur le même mur, Souffle blanc reprend la symbolique du gisant de Holbein. «Mais cette fois, on vit le dernier souffle, comme le passage vers l’au-delà. Comme un dernier coup de racloir avant que le corps ne s’efface définitivement.» En tout point suffocant de beauté.

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En quête depuis vingt ans
Depuis une vingtaine d’années, Guy Oberson poursuit une quête aux contours qui se précisent de plus en plus. Une recherche artistique d’une haute exigence qui questionne autant la condition humaine, que celle de la vie d’artiste, que le Glânois a décidé d’embrasser depuis quelques années. A l’image de son Jonas, la dernière œuvre de l’exposition, il n’a pas réussi à «échapper à sa mission, au prix de sacrifices personnels, relationnels, familiaux et matériels, avoue-t-il. C’était une nécessité. Ça ou crever…»

Après avoir séjourné à Berlin en 2011, Guy Oberson est aujourd’hui parvenu à une impressionnante maîtrise de son art. Non content des chefs-d’œuvre précités, il expose une soixantaine de pièces sous l’intitulé Terrestres, où il mêle différentes techniques (dessin, aquarelle, huile, céramique) et diverses thématiques (cerfs, abeilles…) pour ce qu’il définit comme «cycle qui ne finit jamais».

Guy Oberson expose notamment plusieurs séries d’aquarelle peintes lors de voyages avec sa compagne, l’écrivain Nancy Huston. De sa rencontre avec les pratiques religieuses à Madagascar et à La Réunion, il livre des «portraits» de bêtes mortes et des Oratoires, «trophées» en céramique de cervidés dont l’intérieur est coloré en rouge, comme les autels païens qui bordent les routes.

Plus angoissant encore, le peintre âgé de 53 ans clôt son exposition avec quinze aquarelles intitulées Fœtus fabulateurs, «des êtres mi-humains, mi-animaux, mi-peluches, qui se racontent des histoires à eux-mêmes». Une ode à la vie, terrorisante et fascinante, à l’image de l’univers de Guy Oberson.

Charmey, Musée de Charmey, jusqu’au 2 février 2014. Infos: www.musee-charmey.ch et www.guyoberson.com

 

 

 

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