Mathieu Jaton, de l’ombre à la lumière

Depuis le décès de Claude Nobs en janvier, l’Attalensois Mathieu Jaton est le nouveau directeur du Montreux Jazz Festival. Rencontre quelques heures avant le concert de Prince.jaton

par Christophe Dutoit

«Pouvez-vous attendre encore quelques minutes, Mathieu Jaton discute avec le manager de Prince…» Samedi, sur le coup de 14 h, un vent de stress plane sur l’auditorium Stravinski. Le kid de Minneapolis est dans la maison pour trois jours et personne ne veut tenter de le contrarier sous aucun prétexte.

Alors que les coulisses du Montreux Jazz Festival bruissent d’un air de folie, le nouveau directeur tend une poignée de main ferme et s’installe sur un sofa. Il profite de cette demi-heure dans l’œil du cyclone pour évoquer cette 47e édition, la première sans son fondateur Claude Nobs, parti rejoindre Frank Zappa, Nina Simone et Miles Davis, qui l’attendaient sans doute pour taper le bœuf au paradis des musiciens.

«Cat Power ou Sixto Rodriguez sont montés au chalet de Caux et ils ne voulaient plus en redescendre. Tous ont évoqué le fantôme de Claude Nobs, car son esprit est encore très présent. Comme s’il allait arriver à n’importe quel moment.»

Après avoir passé son baccalauréat à Bulle, Mathieu Jaton a étudié à l’Ecole hôtelière de Lausanne. Un jour, ou plutôt une nuit, vers 4 h du matin, Claude Nobs l’engage pour une réception qu’il donne le lendemain dans son chalet. C’était il y a tout juste vingt ans.

Enrôlé par le festival en 1999, le Fribourgeois prend rapidement le poste de secrétaire général, de bras droit du fondateur. «En septembre dernier, on avait parlé des changements que l’équipe voulait mettre en place. On avait un peu peur de toucher à son bébé. Mais, il nous a vite rassurés: “Génial, on fonce!” Ça nous a donné beaucoup de force. L’automne dernier, Claude était très apaisé. Chose rare, il disait lui-même qu’il était vraiment content.»

L’émotion est palpable dans les yeux de ce fils spirituel, qui a appris toutes les ficelles du métier aux côtés de ce «deuxième père», avec qui «il n’avait pas besoin de beaucoup de mots».

Retour aux sources
«Claude aimait l’envie qu’on avait de revenir aux sources, avec l’ouverture de nouveaux lieux (le Lab, le Jazz Club) et plein de petites scènes un peu partout. Nous avons répondu à ses interrogations. Il était très serein par rapport à l’avenir.» Un accident de ski de fond, durant les fêtes de Noël, l’empêchera de vivre ces changements.

Dans l’ombre de Claude Nobs durant douze ans, Mathieu Jaton passe sous la lumière des projecteurs, il y a six mois, lorsqu’il est nommé à sa succession. A l’âge de 38 ans, il devient le second directeur de l’histoire du festival. «Le conseil de fondation a clairement signifié qu’il voulait poursuivre dans la même ligne. Il a donné à notre projet une fluidité fantastique.»

Billy Gibbons, le guitariste de ZZ Top, m’a pris dans ses bras et m’a dit que le festival était entre de bonnes mains. C’est sans doute le plus beau compliment qu’on puisse nous faire.

Aujourd’hui, à mi-chemin, le bilan 2013 semble en tous points excellent. «Le public a apprivoisé les changements et il a retrouvé rapidement ses repères.» Même son de cloche auprès des artistes, dont on aurait pu craindre un désamour après le départ de leur figure tutélaire. «Au contraire, ils sont en communion avec le festival. Billy Gibbons, le guitariste de ZZ Top, m’a pris dans ses bras et m’a dit que le festival était entre de bonnes mains.» Il savoure un temps d’arrêt. «C’est sans doute le plus beau compliment qu’on puisse nous faire.»

Ceux qui ne voient en Mathieu Jaton qu’un froid manager culturel ont sans doute un peu tort. On lit dans le grain de sa voix une émotion sincère et une envie pure de ne pas tirer la couverture à lui, mais de toujours associer son équipe – «l’ADN du festival» – à ce succès.

«Depuis ce printemps, je n’ai jamais senti l’équipe aussi soudée, avoue-t-il. Elle tient à relever ce nouveau défi. Chez nous, il n’y a pas de conflit d’ego. Chacun a un rôle clair. Les autres anciens ne voient pas comme un problème que j’apparaisse sur le devant de la scène. Je ne fais pas ça pour ma gloire personnelle. Mais seulement par passion.»

Sur scène, Leonard Cohen a rendu un hommage chaleureux à Claude Nobs, Woodkid a projeté une photo de lui, ZZ Top a emmené dans ses bagages un groupe, comme il aimait tant à le faire. «Les musiciens ont réagi avec simplicité et douceur, par petites touches. Claude n’appréciait pas les grands discours. D’ailleurs, un petit mot a souvent davantage de valeur qu’un grand discours.»

Avec la réussite – probable – de cette édition de transition, le festival parviendra à survivre à son créateur. «La marque Montreux Jazz Festival est très forte. En plus, Claude nous a généreusement légué son patrimoine d’amitiés. Avec son départ, tout son entourage aurait pu s’en aller du jour au lendemain.» Au contraire, tous sont revenus.

«Pas supporté un conflit»
«On était préparés à la succession de Claude, même si on n’est jamais vraiment prêts à un départ dans de telles circonstances, raconte Mathieu Jaton. Je ne savais pas comment ça allait se passer. Mais je n’aurais pas supporté que ça se termine par un conflit.»

Lorsque nous étions en discussion avec un interlocuteur, Claude m’ouvrait toujours les portes. On prenait déjà beaucoup de décisions les deux.

Certains souvenirs remontent à la surface. «Lorsque nous étions en discussion avec un interlocuteur, Claude m’ouvrait toujours les portes. On prenait déjà beaucoup de décisions les deux.»

Aujourd’hui, les «enfants» du festival ont repris les rênes, dans un autre genre, peut-être moins extraverti. Le pari de faire jouer Prince trois soirs est gagné et le festival n’attend rien moins que Sting, Kraftwerk, Deep Purple, Joe Cocker et une apothéose finale avec Quincy Jones pour clore cette édition, d’une telle qualité artistique qu’elle est, à elle seule, le plus bel hommage à Claude Nobs, son défunt démiurge.

Infos: www.montreuxjazz.com

 

 

 

Posté le par admin dans Musique Déposer votre commentaire

Ajouter un commentaire