Primasch, Gruérien, bâtard et fasciné par l’âme tsigane

Mardi prochain, Primasch & the Tzigan Dream’s Collector lanceront les 13es Francomanias. Rencontre avec le maître de céans, le violoniste bullois Jean-Christophe Gawrysiak.primasch1

par Christophe Dutoit

Les Bullois croisent fréquemment sa silhouette massive toujours vêtue de noir, ses cheveux coiffés en catogan sous son seyant panama. Jean-Christophe Gawrysiak aurait très bien pu naître à Cracovie, à Budapest ou au fin fond de la Valachie. Mais, à défaut d’être de souche, il est Gruérien de naissance et violoniste de vocation. Mardi prochain, sous son pseudonyme tzigane – Primasch, c’est-à-dire «premier violon» – il ouvrira les feux des 13es Francomanias de Bulle.

Et si on parle de feu, le terme est particulièrement choisi. Fan de Jimi Hendrix et de Santana, Jean-Christophe Gawrysiak livrera ses versions électrifiées et dégingandées d’airs populaires d’Europe de l’est, tels qu’il les a enregistrés sur son dernier disque, Hora!, verni il y a quelques semaines.

«Mon groupe, The Tzigan Dream’s Collector, tourne depuis trois ans dans sa mouture actuelle, raconte le musicien. Marek (Marc Berman, accordéon), Alexis (Alexis Hanhart, basse) et Grzegorz (Grégoire Quartier, batterie) m’ont beaucoup remis en question. Chacun a d’énormes compétences musicales. Ils osent me montrer des choses, confronter leurs idées. Même si l’on n’a pas toujours besoin de tout se dire.» Arrivé comme homme de main pour l’enregistrement au studio de La Fonderie, à Fribourg, Sacha Love (guitares) fait figure de dernière recrue, «l’épice qui manquait à la goulasch».

Je n’ai pas quitté la musique classique. C’est elle qui est partie! Elle devait avoir une bonne raison… On n’était certainement plus sur la même longueur d’onde.

«C’est elle qui est partie!»
«A 47 ans, j’ai encore l’énergie de me lancer dans des nouveaux projets», explique l’ancien violoniste de chambre, qui a fait carrière durant près de vingt ans au sein du Trio Animæ. «Je n’ai pas quitté la musique classique. C’est elle qui est partie! Elle devait avoir une bonne raison… On n’était certainement plus sur la même longueur d’onde.»

Sérieusement, le musicien pense avoir atteint le maximum de ses possibilités dans le domaine du classique. «Je ne sais faire que de la musique. J’ai juste quitté un monde pour en découvrir un autre.»

Justement, l’univers musical de Jean-Christophe Gawrysiak remonte aux influences de son enfance. «J’écoutais les disques de mes parents. Mon père, mi-ukrainien, mi-polonais, est né en France dans un milieu d’immigrés polonais. Et ma maman est allemande. A la maison, on a toujours écouté de la musique tsigane. A l’époque, la seule chose qui passait le Mur de Berlin en provenance de l’Europe de l’est, c’était la culture, comme le violoniste hongrois Roby Lakatos.»

Grâce aux disques qu’écoute sa sœur, il mêle ces sonorités échappées de vieux vinyles avec la guitare jouissive de Jimi Hendrix, les larsens de Santana, les atmosphères planantes de Pink Floyd. A l’âge de 6 ans, le petit Gawrysiak demande à ses parents s’il peut apprendre le violon. «J’ai dû commencer par un an de flûte à bec, pour le solfège…» Puis un ami de la famille lui donne un violon, sur lequel il joue avec un seul doigt.

J’ai appris la musique avec un tourne-disque, se souvient-il. Je n’avais pas vraiment le choix. Je n’ai jamais bien su lire les partitions. Par chance, j’ai une bonne oreille. Je connaissais les concertos par cœur.

Avec un tourne-disque
«J’ai appris la musique avec un tourne-disque, se souvient-il. Je n’avais pas vraiment le choix. Je n’ai jamais bien su lire les partitions. Par chance, j’ai une bonne oreille. Je connaissais les concertos par cœur.» Evidemment, il faut nuancer. Car l’homme est du genre opiniâtre. Bientôt, il suit l’enseignement de Charles Baldinger, bien connu à Bulle. «Avec lui, j’ai dû m’y mettre pour de bon. C’est vrai que ça peut être pratique…»

Au terme de ses études, le Bullois devient violoniste professionnel. «Mais je suis un bâtard. Ma musique est bâtarde. Même lorsque je jouais du classique, j’aimais le crossover, le mélange des genres.» Depuis quelques années, il délaisse en effet les tangos de Piazzolla – «la musique que j’ai le plus aimé jouer avec le trio» – pour revenir à ses aspirations gitanes. Au fond de lui, il se souvient de ce musicien rencontré en Transdanubie, «qui nous tirait les larmes avec son crin-crin tout foutu». Un moment clé.

Dépoussiérer le folklore
Du coup, Primasch se fond dans la tradition et reprend des airs parfois millénaires, comme Miserlou (remis au goût du jour dans Pulp fiction de Tarantino) ou Gasn nigun, une chanson de rue yiddish désormais incontournable dans son répertoire.

Mais, avec son violon amplifié, ses boucles électroniques et l’influence de la musique minimale de Terry Riley ou Philip Glass, il dépoussière le folklore gitan, klezmer, turc et hongrois avec la fougue d’un guitar-hero baigné dans le blues de Gary Moore ou les riffs de Led Zeppelin. Il pousse même parfois le bouchon à l’extrême, comme dans sa version ultrarapide d’Odessa bulgar, qui frise le metal pur sucre.

Déjà survoltés sur Hora!, Primasch & the Tzigan Dream’s Collector donnent la plénitude de leur virtuosité sur scène, là où le danger du moment donne des ailes à l’improvisation et à la surprise. Car, aux yeux de Jean-Christophe Gawrysiak, «la musique tsigane est l’art de la greffe». Mais, tout bâtard qu’il se décrive, le musicien est avant tout un Gruérien. «Oui, je suis un homme de la terre où je vis.»

Bulle, Espace Gruyère, mardi 7 mai, dès 18 h. www.francomanias.ch
Primasch & the Tzigan Dream’s Collector, Hora!, www.primasch.bandcamp.com


«Il faut vivre d’illusions»

Le 16 juillet 1998, La Gruyère consacrait sa page «Magazine», à Jean-Christophe Gawrysiak, alors membre du Trio Animæ, qui venait de sortir son premier album dédié à Piazzolla. Sous le titre Le Tsigane de l’équipe (lire le PDf de cet article), le violoniste bullois levait déjà une part du voile sur ses amours pour les musiques de l’est. Quinze ans plus tard, nous lui avons reposé les dix mêmes questions, tirées au hasard. Avec, entre parenthèses, les réponses qu’il avait données à l’époque.

Si c’était à refaire, quelle autre profession choisiriez-vous?
Chef d’orchestre, pour pouvoir tout contrôler. (En 1998: C’est difficile à dire… Pianiste.)

Avez-vous peur de la mort?
Oui. (Oui.)

Etes-vous plutôt cigale ou plutôt fourmi?
Cigale, qui bosse énormément… (Ça dépend de ce que j’ai à faire.)

Pour garder une trace de vos souvenirs, choisissez-vous le caméscope ou la photo?
La photo. (La photo. Parce que le caméscope, c’est un scénario. La photo, c’est mille scénarii.)

Les trois mots que vous préférez?
(Il imite l’accent gypsy anglais) Music, music, music. C’est la forme d’art la plus puissante, à la fois impalpable et invisible, mais qui dévoile les plus belles choses que l’on peut montrer. La musique est l’un des derniers champs de la spiritualité.
(J’ai beaucoup de mots que je préfère… Je cherche, je cherche… Forêt, c’est un mot que j’aime beaucoup… Liberté, et puis… Il y aura une analyse psychologique, après? Et puis… Tsigane, j’aime bien, pour la sonorité surtout. Mais trois mots, c’est beaucoup trop restrictif! C’est comme si je devais donner trois interprétations d’une même sonate, alors que chaque fois qu’on joue un morceau, on choisit d’autres intonations, d’autres phrasés…)

Quel est votre dernier gros chagrin?
Je pourrais parler d’un truc personnel, mais je dirais la défaite de Bâle contre Chelsea, puisqu’il n’y a pas le Mondial cette année!
(L’élimination du Paraguay en 1/8e de finale du Mondial. Je suis toujours pour le plus petit. Et le Paraguay disposait avec le gardien Chilavert d’une personnalité au charisme incroyable.)

Les moments de solitude, le silence, vous sont-ils pesants?
Non, ils sont nécessaires, voire vitaux. (La solitude, non. Je meuble mes silences par mes propres monologues.)

Etes-vous capable de faire plusieurs choses à la fois?
Non, c’est déjà difficile d’en faire une seule. (Non.)

Comment vous voyez-vous dans vingt ans?
(Je me souviens que j’avais déjà dit une connerie…) Avec toujours moins de cheveux, mais autant de crins sur mon archet.
(Plus ou moins de la même manière qu’actuellement, les cheveux en moins.)

Le dernier événement qui vous a marqué?
Un truc positif, quelque chose de beau, qui parle à tous… C’est difficile! Nous, les artistes, nous cherchons le tragique et le spectaculaire… Je suis très marqué par le potentiel humain pour la méchanceté et, à la fois, pour son côté compatissant. Je pense qu’il faut vivre d’illusions.
(Pas vraiment un événement. Plutôt un phénomène: l’extrémisme. Tous les extrémismes, politicards, religieux ou autres.
Propos recueillis en 1998 par Didier Page)

 

Posté le par Eric dans Francomanias, Musique Déposer votre commentaire

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