Ollivier Pourriol, le grand théâtre de Canal

Philosophe et écrivain, Ollivier Pourriol a été chroniqueur du Grand Journal, sur Canal+, durant une saison. Une expérience qu’il raconte à travers une «comédie» édifiante.

par Eric Bulliard

pourriol

Il devait être la caution intelligente de l’émission.
– Intelligent combien?
– On n’est pas à Normal sup’. Intelligent, mais pas trop. Tu vois la crème dans le café?
Durant une année, Ollivier Pourriol aura donc été la crème dans le café du Grand Journal, l’émission phare de Canal +. Philosophe et écrivain, il a été engagé pour parler de livres, donner un point de vue, «développer une idée, mais en restant accessible».

Cette expérience, Ollivier Pourriol la raconte dans On/off, étonnant livre qui dépasse le règlement de comptes. Par sa forme, d’abord: comme Tromperie, de Philip Roth, il ne contient «que des dialogues, et on ne sait pas qui parle». Parce que «ce qui compte, dans un système, ce n’est pas qui parle, c’est ce qui est dit».

Troublant au départ, l’effet se révèle extrêmement efficace, même s’il a ses limites: les dialogues sont sortis de leur contexte et annihilent tout second degré, toute ironie. Nous voici au théâtre, avec saillies cruelles, tutoiement de rigueur, gags lourdingues. Une comédie, comme l’annonce le sous-titre. On rit, certes (un peu), mais on ressort surtout effaré par la suffisance, l’arrogance, l’inculture autosatisfaite qui semble imprégner l’émission phare de Canal.

A quoi bon lire les livres?
Dialogue éloquent, parmi tant d’autres, avec le producteur de l’émission, expliquant pourquoi Le Grand journal s’appelle ainsi:
– Parce qu’on est statutaires (…) On définit les grandes tendances.
– Vous les définissez?
– Comme Vogue. Quand les gens lisent Vogue, c’est pour savoir ce qu’ils doivent penser.
– Tu veux dire porter?
– Oui, bon, c’est pareil.

«Si on parle du livre, je parle de la page 100. Quelqu’un qui arrive à la page 100, c’est qu’il a lu le livre.» Et tout le monde a l’air de trouver ça normal.

Ailleurs, un membre de l’équipe (journaliste? chroniqueur? animateur? fait-on encore la différence à la télé?) lui explique qu’il ne lit toujours que «la première page, la dernière page et la page 100». Ainsi connaît-il le début, la fin et le milieu… «Si on parle du livre, je parle de la page 100. Quelqu’un qui arrive à la page 100, c’est qu’il a lu le livre.» Et tout le monde a l’air de trouver ça normal.

Payé pour ne rien faire
Quiconque a vu ne serait-ce qu’une émission où il tentait d’intervenir le savent: Ollivier Pourriol n’a pas trouvé sa place. Il ne se cherche pas d’excuse, si ce n’est celle d’avoir été souvent coupé au montage. Attiré par l’envie naïve de découvrir un nouvel univers et par un salaire mirobolant («entre dix et quinze par mois»), il perd peu à peu tout espoir de s’imposer à l’antenne. Au point de devenir «pendant un an le téléspectateur le mieux payé de France». Un détachement qui culmine dans le passage surréaliste où ce spécialiste de cinéma se retrouve à Cannes, sans rien à faire: «Ils ont préféré me payer à ne pas être sur le plateau que me faire bosser.»pourriolcover

Pour Ollivier Pourriol, tout semble basculer le jour où il veut faire une chronique sur le spectacle de Jean-Louis Trintignant autour des poètes Vian-Prévert-Desnos. Impossible, lui assure un adjoint du rédacteur en chef, avec cet argument ahurissant: «On ne parle pas des poètes morts.» Il ne s’en remettra jamais vraiment.

Bovary et Balzac
L’universitaire habitué à lire les livres en entier, à réfléchir avant d’ouvrir la bouche se retrouve ainsi dans une galère où il faut parler avant de savoir ce que l’on va dire. Où toute citation doit être évitée, parce que c’est «super excluant». Un monde où «intellectuel» est une insulte et où une animatrice (Ariane Massenet) parle d’«Emma Bovary, de Balzac», sans que personne relève l’erreur. On lui trouve même une excuse: «On avait merdé en amont. Elle a juste lu sa fiche…»

Tout n’est toutefois pas que vide et insignifiance. Sous le regard (et la plume) d’Ollivier Pourriol, les politiciens deviennent presque attachants dans leur costume de professionnels de la communication. Avec Nicolas Sarkozy, l’ambiance est électrique, tendue au maximum, en particulier pendant la coupure pub. Mais le futur ex-président s’en sort bien quand le philosophe lui parle d’Ordet, le film de Dreyer. De son côté, François Bayrou cite Patrice de La Tour du Pin et Marine Le Pen récite Les Fleurs du mal. On ne leur avait pas dit qu’«on ne parle pas des poètes morts».

Retour à l’essentiel
Au fur et à mesure qu’il se détache, Ollivier Pourriol revient à l’essentiel. La littérature et la philosophie, puisqu’il se met à réfléchir à sa situation, notamment à travers une audacieuse comparaison avec Si c’est un homme de Primo Levi.

Le livre terminé, après un dernier chapitre imaginaire et fort réussi, on garde ainsi le sentiment que Prévert, Vian, Desnos et tous les poètes demeurent bien plus vivants, ont beaucoup plus à nous dire que «cet univers de carton». Car tout cela, finalement, n’est que de la télévision. Donc sans aucune espèce d’importance.

Ollivier Pourriol
On/off
Nil Editions, 358 pages

 

 

 

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