«Les Mensch», de Nicolas Couchepin, sort aujourd’hui en librairie. L’écrivain nous a reçu chez lui, à Cormérod, pour parler de ce roman remarquable publié au Seuil.
Par Charly Veuthey
Les Mensch est un très grand roman. Cette polyphonie familiale est remarquable, tant dans la diversité de ses tons que dans les profondeurs troublantes des quatre membres de la famille Mensch. Le roman présente en outre une structure digne des plus grands. Résultat: après des publications en Suisse, chez Zoé (Grefferic et Le sel) et Infolio (La théorie du papillon), Nicolas Couchepin a, pour la première fois, les honneurs de Seuil.
C’est une expérience marquante pour l’auteur valaisan installé dans le canton de Fribourg, à Cormérod: «Le travail a été extraordinaire. L’éditeur était d’une immense intelligence. Il m’avait averti qu’il adorait mon livre, mais qu’il me demanderait beaucoup de travail sur le texte. Ça m’a fait découvrir le mode de fonctionnement d’une maison de cette importance. Quatre lecteurs se sont engagés sur mes épreuves. C’était une expérience professionnelle unique.»
La médaille a eu son revers. Nous aurions pu découvrir Les Mensch une année plus tôt. Mais Claustria, de Régis Jauffret, a eu la priorité, explique Nicolas Couchepin: «J’ai signé le contrat pour une publication en janvier 2012. Mais, à la même date, Régis Jauffret sortait Claustria. Le Seuil ne voulait pas publier ces deux livres en même temps. Et, comme j’étais le moins connu, Jauffret a eu la priorité».
Une famille comme les autres
Claustria revenait sur le «cas Fritzl» – une fille enfermée pendant des années dans une cave en Autriche – qui a défrayé la chronique en 2008. C’est le même type d’histoire qui sert de point de départ pour Les Mensch: «J’avais lu dans un journal l’histoire d’une famille qui s’était cachée dans une cave, car elle ne pouvait pas assumer, vis-à-vis de ses voisins, de ne pas avoir les moyens de partir en vacances. J’ai trouvé cette histoire absolument tragique dans sa dérision. J’avais depuis longtemps l’idée de raconter ce genre de folie ordinaire.» Beaucoup d’autres éléments se sont ensuite greffés sur ce roman d’une grande richesse.
On découvre d’abord Théo, le père, en dépression, qui voit le sol s’écrouler sous ses pieds; sa femme Muriel assiste à sa chute, impuissante, murée dans ses propres obsessions. Le portrait de Marie, la fille, démarre avec ces mots implacables: «Cher Journal, Papa est devenu fou et maman me déteste.»
«Profondément normaux»
Il y a aussi Simon, le fils trisomique, qui est «au début de toute cette histoire», explique l’auteur, qui travaille également pour Caritas, dans la traduction et la communication: «J’ai eu l’occasion d’écrire un texte sur un enfant handicapé qui m’avait beaucoup habité.»
On assiste à l’irrémédiable descente des Mensch. On se met à penser que Nicolas Couchepin a choisi ce nom de famille pour symboliser notre humaine condition. Il confirme: «Oui, je les trouve profondément normaux en fait. La famille est le lieu de toutes les torsions, mais je trouve en même temps absolument triste d’imaginer que l’on vive sans elle.»
C’est au moment où la famille ressortira de la cave que s’élève la dernière voix, celle de Lucie, qui «noue le bouquet», en mettant au jour les secrets de famille du passé. Elle apporte une lumière très crue sur cette histoire.
Brillante structure
Ce dernier chapitre fait aussi définitivement prendre conscience des qualités structurelles du roman. En plus des quatre voix, Nicolas Couchepin offre à chacun de ses personnages un double «de papier»: Théo collectionne les récits de faits divers sordides, Muriel écrit toutes ses pensées essentielles sur des post-it fuchsia, Marie tient son journal et Lucie écrit une longue lettre à son fils. On est au cœur des préoccupations de l’auteur: «Je voulais mettre en avant l’énorme différence entre la vox populi et la voix intime de chacun. J’ai mis en scène la manière dont ils essayent toujours d’ajuster leur folie intime à l’exigence sociale. J’ai toujours été frappé par les décalages innombrables entre la vie intime et ce que l’on montre en société.» Cet effet est accentué par le regard que chacun des personnages porte sur les autres.
Nicolas Couchepin fait aussi revenir des motifs forts tout au long du roman. On les découvre dès les premières pages, lorsque Théo, de son lit aux pieds griffus, raconte le moment où il a assisté, «le cœur au bord des lèvres», à l’ensevelissement de son train électrique, lorsque sa mère a décidé de combler la cave – un lieu de malédiction. «Ces motifs proviennent de mes explosions. Ils s’imposent tout à coup pendant l’écriture. Je ne décide pas grand-chose.» Ils sont l’un des points forts du roman.
Nicolas Couchepin
Les Mensch
Seuil, 214 pages
notre avis: ♥♥♥