Benjamin Black, un roman noir plutôt gris

Black - couverture

Au cœur des années cinquante, l’écrivain Benjamin Black lance son héros fétiche, le médecin légiste Quirke, à la recherche de la meilleure amie de sa fille dans le brouillard hivernal de Dublin.

Dans l’Irlande conservatrice et patriarcale des années 1950, l’indépendance et la liberté affichées par la jeune doctoresse April Latimer a de quoi faire froncer bien des sourcils. Cet anticonformisme entretient-il un lien avec sa disparition soudaine et inexpliquée? C’est en tout cas ce que Phoebe Griffin est amenée à penser, alors que s’accumulent les révélations sur la face cachée de sa meilleure amie.

La connaissait-elle vraiment? Sans nouvelles d’April depuis deux semaines, Phoebe se tourne vers son père, Quirke, afin de retrouver sa trace. Médecin légiste excentrique et alcoolique sortant fraîchement d’une cure de désintoxication, celui-ci se lance dans une enquête qui le conduira dans la haute société dublinoise. Dans le dédale des rues brumeuses, les pubs enfumés de la capitale irlandaise et les salons feutrés de la gentry locale, père et fille, aidés par l’inspecteur Hackett, tenteront de dénouer une intrigue faite de secrets familiaux, de racisme ordinaire et de rigueur catholique.

Banville du côté noir

L’écrivain irlandais John Banville est l’auteur d’une riche œuvre littéraire auréolée d’une multitude de prix, dont le prestigieux Booker Prize attribué en 2005 pour La mer. Mais lorsque la couleur de ses romans se fait plus noire, John Banville se métamorphose en Benjamin Black, pseudonyme sous lequel il a publié une demi-douzaine de polars, dont cinq narrent les aventures du médecin légiste Quirke. La disparition d’April Latimer raconte la troisième aventure de ce héros récurrent, irascible, solitaire et luttant constamment contre des démons issus de sa prédilection déraisonnable pour la dive bouteille. Extravagant comme savent seulement l’être certains personnages anglo-saxons, il est du genre à acquérir sur un coup de tête une coûteuse voiture de sport – un coupé Alvis TC-108 carrossé par le Suisse Hermann Graber – alors qu’il n’a même pas le permis de conduire et surtout aucune compétence pour piloter l’engin.

Poussive intrigue

Tenter de s’immiscer dans l’univers de Quirke en commençant par sa troisième histoire n’est probablement pas la meilleure des approches. Les aficionados du médecin légiste qui ont eu l’heur de le connaître dès le début de ses péripéties ne ressentiront sans doute pas cette impression d’un personnage trop peu défini. Certes, dans ce livre, Black laisse percevoir au lecteur que Quirke a la carrure d’un héros, mais sans fournir suffisamment d’éléments pour qu’il acquière une véritable substance. En conséquence, on peine quelque peu à s’attacher à lui. Il en est de même pour l’ambiance des années cinquante à Dublin: hormis quelques indices sur l’époque et la ville, il est difficile pour le lecteur de ressentir une impression pleine et entière d’immersion dans un autre temps et un autre lieu.

Le moteur de tout polar qui se respecte est bien entendu l’intrigue. Et force est de constater que celle-ci est assez poussive. Elle se résume à la question «Qu’est-il advenu d’April Latimer?» et le lecteur a tôt fait d’évacuer l’éventualité d’une fugue amoureuse pour privilégier la possibilité d’un destin plus funeste, sans lequel l’ouvrage ne répondrait tout simplement pas à la définition de roman noir. Mais Black n’arrive pas à insuffler dans ces pages cette tension constante qu’on trouve dans les excellents polars, et qui interdit au lecteur de lâcher l’ouvrage. Trop de digressions à l’intérêt discutable font que le suspense tarde à s’installer ou se relâche constamment. Un humour très discret et quelques scènes à l’érotisme plus policé que polisson se révèlent insuffisants pour maintenir l’appétit du lecteur. Sans compter que la fin le laissera sur sa faim.

Bientôt à la TV

Polar de petite tenue, La disparition d’April Latimer satisfera peut-être les inconditionnels de Quirke, mais les autres lecteurs risquent de se sentir frustrés. L’excellent Gabriel Byrne (Miller’s Crossing, Usual Suspects, In Treatment) incarnera prochainement le médecin légiste dublinois dans une série télévisée produite par la BBC. Souhaitons que l’acteur sache donner au héros une présence et une profondeur malheureusement trop discrètes dans cet ouvrage. Et surtout que les scénaristes trouvent le moyen de resserrer l’intrigue, afin que devant leur petit écran palpite le cœur des spectateurs. Beaucoup plus vite et beaucoup plus fort qu’à la lecture de ce roman qui se veut noir, mais s’avère plutôt gris.

par Marc Luthy

Benjamin Black

La disparition d’April Latimer

Nil / 372 pages

Notre avis: ♥

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