Nos meilleurs crus de 2012

Que retenir des livres, disques, films, spectacles de l’année écoulée? Le temps d’un double regard dans le rétro, forcément subjectif. Quelques œuvres qui nous ont marqués en 2012.saezz

par Eric Bulliard

D’abord, il y a eu ce choc, dès le mois de janvier. Dans Claustria, Régis Jauffret, explorateur implacable des parts les plus sombres de l’être humain, revenait sur l’affaire Fritzl, du nom de cet Autrichien qui a séquestré sa fille durant vingt-quatre ans. Un roman monstrueux, insupportable et grandiose.

L’année littéraire aura aussi été marquée par cette excellente nouvelle: les jeunes auteurs romands s’affranchissent de leurs aînés. Comme dit un ami (qui est auteur et romand): «On ne va pas éternellement parler de péchés dans le Gros-de-Vaud.» Même s’il a suscité jalousies et mauvaise foi, l’incroyable succès de Joël Dicker, 27 ans, ne peut que se révéler positif. En plus de la qualité de La vérité sur l’affaire Harry Quebert – indéniable pour autant qu’on ne cherche pas à faire passer ce roman pour un Ellroy – il donne un sacré coup de balai (et de vieux) à la littérature romande.

Chauvinisme à part, les autres émotions littéraires de l’année proviennent du canton de Fribourg, avec Le chemin sauvage de Jean-François Haas, la poésie de Frédéric Wandelère (La compagnie capricieuse) et de Jean-Dominique Humbert (L’air de ton nom et autres poèmes). Sinon, on a apprécié le Prix Goncourt (Le sermon sur la chute de Rome, de Jérôme Ferrari), le Femina (Peste et choléra, de Patrick Deville) et la nouvelle merveille de Patrick Modiano (L’herbe des nuits).

Audiard, Haneke, Saez…
Côté cinéma, deux réalisateurs sortent de la masse des machins d’animation, de superhéros et de Hobbit qui constituent désormais l’essentiel de la production: Michael Haneke et Jacques Audiard. Amour et De rouille et d’os ont en commun de prendre le cinéma pour un art et le spectateur pour un adulte, le secouant, le touchant, le dérangeant. Du cinéma puissant, intense, porté par des acteurs impressionnants. Avouons un faible pour les inflexions de voix de Jean-Louis Trintignant chez Haneke et la bestialité de Matthias Schoenharts chez Audiard. On n’oubliera pas non plus que 2012 restera comme l’année du triomphe de Jean Dujardin, officiellement plus grand acteur du monde. On ne rit pas. D’ailleurs, ça n’a rien de drôle.

Pour la musique, un nom surnage: Damien Saez. D’accord, le jeune homme a un côté sale tronche. D’accord, il pousse parfois jusqu’à la parodie ses versants Brel (Marie) ou Barbara (Châtillon-sur-Seine). Et son triple album (Messina) aurait pu être resserré en un double. N’empêche: on ne voit pas qui mettre devant, du moins cette année, dans la chanson française. Il suffit de réécouter pour la millième fois Les meurtrières pour se convaincre que ce neurasthénique aussi incontrôlable qu’intègre a un talent hors du commun. Sentiment confirmé par son concert des Docks, fiévreux, tendu.bruce

Le Boss sans égal
A propos de concert, les trois heures et demie proposées par Bruce Springsteen à Zurich en juillet ont confirmé ce que l’on savait déjà: le Boss n’a actuellement aucun égal sur scène. Ceux qui en doutent n’ont qu’à prendre leur billet pour Genève, l’été prochain. Excellent souvenir aussi du concert d’un Thiéfaine en grande forme, aux Francomanias, du nouvel album de Cali, de la découverte de Lou Doillon…

Que retenir encore? Au théâtre, pas de révélations inoubliables. Une magnifique soirée Hugo au Théâtre des Osses, un très bel Antigone (mis en scène par Jean Liermier) à Carouge, la voix, encore elle, de Trintignant posée sur les mots de Desnos, Prévert et Vian, à Monthey, de sympathiques Contes de Shakespeare à Vidy, la nouvelle création de Fabienne Berger… C’est déjà pas mal. Mais ce n’est pas énorme. Mais c’est mieux que rien. Et ça aurait pu être pire.

 

Ces sacrées vieilles marmites

Il y a toujours quelque chose de vertigineux à regarder dans le rétroviseur. A ressasser des émotions enfouies, à faire remonter à la surface des sentiments furtifs. Comme ce moment incroyable d’avoir pu rester en tête à tête avec La Vierge à l’Enfant avec sainte Anne, dans un musée du Louvre désert aux petites heures du matin. De découvrir ce chef-d’œuvre de l’histoire de l’art, peint au début du XVIe siècle et enfin débarrassé de ses immondes blessures du temps. De ressentir la finesse du sfumato des visages, la richesse des détails de l’arrière-plan. De toucher du doigt (enfin presque) la dimension spirituelle d’une telle quête de perfection.dylan

Cette année 2012 laisse le goût d’une délicieuse soupe, de celle préparée dans de vieilles marmites, comme dit l’adage. En effet, on a comme l’impression que les jeunes pousses ont peiné cette année à s’imposer dans l’ombre des géants. A commencer par Tempest, le dernier album de Bob Dylan, le 35e de sa carrière. Un disque, évidemment, aux antipodes de la bouillabaisse actuelle. Car Dylan, mieux que tout autre, est capable de régurgiter en son nom les cinquante dernières années de musique avec un brio sans pareil. D’ailleurs, Le Nouvel Obs n’a-t-il pas trouvé le meilleur titre pour définir son œuvre: «Bob l’éponge».

Les deux incontournables de Neil Young
Autre figure emblématique de l’Amérique, Neil Young est le seul à tenir la dragée haute à l’auteur de Like a rolling stone. De retour avec son Crazy Horse (pas les filles parisiennes, comme le pensent certains), il s’est fendu de deux albums incontournables, un premier de reprises folk (Americana) et un second de furieux maelström de guitares (Psychedelic pill). Un must.

Au chapitre des retours inattendus, on notera celui de l’Anglais Bill Fay, quarante ans après son dernier enregistrement, qui signe l’un des disques majeurs de l’année (Life is people). Plus jeunes, mais également de retour, The Smashing Pumpkins ont retrouvé leur rage des années nonante (Oceania), Spain a renoué avec ses odes à la lenteur (The soul of Spain) et Led Zeppelin a enfin publié son majestueux retour sur scène (Celebration day).

Plus près de chez nous, deux vieilles gloires du rock fribourgeois ont déposé les armes. Reformé pour les vingt ans d’Ebullition, Le Bal du Pendu laisse définitivement le regret d’un groupe littéraire et indompté sur scène, tandis qu’Underschool Element a écrit le mot fin lors d’une soirée bruyante et tendue au Nouveau Monde.

Cela dit, un certain nombre de petits jeunes poussent au portillon. En France, Benjamin Biolay vient de donner avec Vengeance un digne successeur à La superbe, alors que Rover a publié un premier album en tout point parfait (mais en anglais dans le texte). Et, malgré l’ambiance intimiste qui régnait à La Spirale, Piers Faccini a prouvé à ceux qui ne s’en rendraient pas compte qu’il fait partie de la crème des auteurs français.

Au chapitre des grosses déceptions, on peine à oublier le chaos (voire l’arnaque) qui a accompagné la venue de Radiohead à Saint-Triphon. Reporté à l’automne, le concert prévu en juillet a tourné à la gabegie au niveau de l’organisation, alors que le groupe de Thom Yorke jouait ses musiques prétentieuses sur une scène sans doute trop petite pour son ego.

par Christophe Dutoit

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