Fribourg, terre de peinture

Cinq cents ans d’art pictural réunis en un livre: tel est le défi relevé par Christophe Flubacher. Les peintres fribourgeois présentent un panorama, forcément subjectif, qui court de Hans Fries à Jacques Rime.reichlen

par Eric Bulliard

Enseignant et historien d’art, Christophe Flubacher s’est lancé dans une entreprise méritoire: dresser un panorama de la peinture romande, canton par canton. Après le Valais, Vaud, Genève et en attendant Neuchâtel, il vient de publier Les peintres fribourgeois, qui survolent cinq siècles de création, de 1480 à 1980.

Survoler est bien le terme, tant il paraît impossible, en 240 pages richement illustrées, d’approfondir le sujet. Avantage: les textes demeurent simples, accessibles. Inconvénient: on reste loin de l’exhaustivité. Christophe Flubacher revendique d’ailleurs une «sélection subjective».

Pas de place, par exemple, pour le retable du Maître à l’œillet, à l’église des Cordeliers, chef-d’œuvre de l’art suisse du XVe siècle. Plus près de nous, on s’étonne des absences de Jean Tinguely (ses sculptures ont-elles à ce point occulté son œuvre peint?), de Raymond Buchs ou de Ferrucio Garopesani, qui, certes, n’est pas né à Fribourg, mais demeure plus fribourgeois que Balthus, dont il est question dans le livre… Et que l’on puisse considérer l’œuvre du Boucher Corpaato (qui clôt l’ouvrage) comme plus important que celui de Bruno Baeriswyl (absent lui aussi) laisse pantois…

Fries, le premier
Ces réserves mises à part, Les peintres fribourgeois offrent un parcours d’autant plus intéressant que l’art, ici, apparaît souvent lié à l’histoire de la ville et du canton. Piqûres de rappel bienvenues, où apparaissent des figures comme Louis d’Affry, le Père Girard, Georges Python…

Pour la peinture, tout commence à la fin du XVe siècle avec le plus éminent représentant de l’art fribourgeois, Hans Fries. Jusqu’au Sonderbund, suivent des artistes comme Wilhelm Ziegler, Grégoire Sickinger, Gottfried Locher ou encore Joseph-Emmanuel Curty, représenté à travers une extraordinaire vue de l’ermitage de la Madeleine (vers 1800).

Christophe Flubacher a tiré quelques caractéristiques de la peinture fribourgeoise. Sa manière de privilégier le portrait, par exemple. «Une autre spécificité est le nombre de femmes artistes»: alors que le volume sur Genève n’en comptait aucune, elles sont sept à Fribourg. Outre la célèbre Marcello, figurent en bonne place Antoinette et Elisa de Boccard, Mathilde Mayr von Baldegg, Sophie Oxe, la Romontoise Rita Perrier-de Bruin et Denise Voïta (née à Marsens).

L’auteur rappelle aussi volontiers l’importance de Hodler, de ses leçons à l’Ecole des arts et métiers de Fribourg (entre 1896 et 1899). Sa conférence, intitulée La mission de l’artiste, donnée en mars 1897, a particulièrement marqué son époque.

De tous les peintres romands, Reichlen est le plus cosmopolite, au sens que lui prête la philosophie: celui qui peut, du lieu où il est né, toucher à l’universalité, sans renier sa particularité.

Le Sud en nombre
Les peintres fribourgeois laissent une place à la poya, codifiée au XIXe par Sylvestre Pidoux. Et à l’œuvre de Joseph Reichlen, que Flubacher considère comme «de tous les peintres romands, le plus cosmopolite, au sens que lui prête la philosophie: celui qui peut, du lieu où il est né, toucher à l’universalité, sans renier sa particularité».

C’est l’occasion de souligner que le Sud fribourgeois est fort bien représenté, puisque figurent également Paul Yerly, Jean Crotti, Louis Vonlanthen, Léon Verdelet ou encore Jean-Lou Tinguely (ici nommé Jean-Louis) et Jacques Rime. Sans oublier le Glânois Yoki ainsi que les Veveysans Oswald Pilloud et Charles Cottet, que Christophe Flubacher considère comme «le ténor de la peinture fribourgeoise du XXe siècle».flubacher

Aux côtés des incontournables comme Armand Niquille, Teddy Aeby ou Gaston Thévoz, se trouvent également des artistes plus inattendus. Comme l’étonnant Frank C. Peyraud, Bullois établi à Chicago en 1880, où il est devenu «le premier paysagiste de l’Illinois. Plus précisément, [il] apparaît comme l’un des chefs de file des peintres dits conservateurs, ayant résisté aux avant-gardes et à la fièvre moderniste qui s’empara de l’Amérique, au lendemain de la célèbre exposition de l’Armory Show de 1913.» Ses vues de Chicago ou de l’Indiana côtoient ainsi celles qu’il a réalisées à Gruyères.

Peyraud est l’un des rares peintres à avoir réellement franchi les frontières. Paradoxalement, cette relative sédentarité représente une des richesses de la peinture fribourgeoise: puisque la plupart de ses représentants sont restés au pays, elle demeure une source précieuse pour «nous renseigner sur la population du canton, sur ses disparités sociales et sur son histoire».

Christophe Flubacher, Les peintres fribourgeois, 1480-1980, Favre, 240 pages


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