Massimo Rocchi à la découverte de l’«homo helveticus»

Massimo Rocchi lance jeudi la nouvelle saison culturelle de la salle CO2, à La Tour-de-Trême. Entretien avec un comédien-humoriste fin observateur de notre histoire et de nos us et coutumes.

Propos recueilllis par Eric Bulliard

Au cours de la discussion, il dévie sur le canton de Fribourg, qui est «à l’image de son drapeau noir et blanc: très zen». Il enchaîne sur l’importance de la bataille de Morat, puis sur Bulle, où il garde d’«excellents souvenirs» d’un week-end passé avec ses filles, alors qu’il se trouvait en tournée avec le cirque Knie, en 2003. Ainsi apparaît Massimo Rocchi, né en Italie en 1957, installé en Suisse depuis bientôt trente ans: un mélange d’ironie et d’érudition, qu’il propose également sur scène. Son RocCHipédia (jeudi à la salle CO2 de La Tour-de-Trême) parcourt l’histoire suisse et observe avec humour l’«homo helveticus».

Comment votre spectacle, RocCHipédia, a-t-il évolué depuis sa création en 2009?
J’essaie de sentir ce qu’il y a dans l’air suisse, de lire les journaux et d’amener sur scène des nouvelles du jour. Par exemple, jusqu’à il y a deux ans, la grande ville motrice de l’économie suisse était Zurich. Alors que c’est sur l’axe Genève-Lausanne que les choses se passent, que l’économie a fait un bond très important. Nous sommes aussi dans une position privilégiée par rapport à la crise économique mondiale. Nous voulons nous sauvegarder, mais quand le voisin brûle une saucisse, on le sent de notre balcon! Je mélange tout ça à des expériences personnelles que je vis dans les trains: je voyage tous les jours et le chemin de fer suisse est notre grande piazza, comme elle existait en Italie il y a trente ans et en Grèce il y a 2100 ans! Je fais un panachage entre passé et actualités pour raconter l’histoire d’un homme qui a un énorme problème: il est suisse et il est heureux!

Votre spectacle marche aussi bien des deux côtés de la Sarine: est-ce difficile de le transposer d’une langue à l’autre? Quelles différences ressentez-vous?
Mon impression, c’est que la Suisse francophone aime le poivre: on peut utiliser un peu toutes les cordes du comique. Même être légèrement vulgaire… On sent le bistrot. Dès qu’il y a un Suisse alémanique dans le bistrot, on essaie de faire de la politique. La grande différence, c’est que si un Romand se déguise en femme, on voit une comédie. Chez les Alémaniques, on va essayer de chercher à comprendre si c’est la mère, la tante, la grand-mère… Il y a un chemin psychologique, parce qu’en Suisse alémanique, grâce à Luther et au protestantisme, le théâtre a gardé un côté moral. L’aspect music-hall appartient beaucoup plus à la Suisse romande.

Vous parlez volontiers de politique, d’économie, d’histoire: en quoi sont-ils inspirants pour un comique?
Dire que je suis comique, c’est un grand compliment, mais c’est à gagner tous les soirs… Ce qui m’intéresse, ce n’est pas de trouver des blagues, mais de voir si, derrière leur apparence sérieuse, certaines circonstances, lois ou situations sociales sont drôles en soi. Par exemple, la différence entre fraude et évasion fiscale: si, à l’étranger, on me demande de l’expliquer, le grand silence qui suit est déjà une blague! Autre exemple: en Suisse, on essaie d’améliorer notre impact sur l’environnement. Moi qui habite Bâle, j’achète un sac-poubelle à 3 fr. 50. Je l’utilise vendredi soir, samedi, dimanche. Lundi, je pars à Zurich pour une semaine, il est à moitié plein. Je le jette comme ça? Non: je suis Suisse… Je peux encore l’utiliser, donc je l’emmène avec moi, mais avez-vous déjà essayé de jeter un sac à ordures de Bâle à Zurich? Impossible! Cet esprit cantonal, qui nous donne des avantages, nous crée dans le quotidien des problèmes énormes, que nous ne voyons plus. J’essaie, comme un chat, la nuit, d’aller gratter les poubelles et de voir s’il n’y a pas de l’identité, à l’intérieur, qui pourrait nous montrer le comportement de l’«homo helveticus».

J’aime beaucoup visiter les tabous, chercher, comme une fouine dans une cave, nos peurs de population suisse.

Vous imposez-vous des limites?
Non, j’aime beaucoup visiter les tabous, chercher, comme une fouine dans une cave, nos peurs de population suisse. Le risque, dans le comique, c’est d’oublier le thème et d’aller dans le narcissisme. Epater à tout prix, ça ne sert à rien. Le spectacle existe uniquement comme pont entre scène et salle. Il n’y a pas de tabou, sauf en cas de problèmes de santé, de souffrance, de deuil… Mais si Berlusconi, qui a toujours vendu le fait d’être un tombeur de femmes, a un accident et reste castré, j’ai le droit de l’attaquer. Parce qu’il ne m’a pas vendu une politique, il m’a vendu du papier pour m’enrober. En revanche, si quelqu’un comme Mario Monti a un deuil dans sa famille, je n’ai pas le droit de l’attaquer, parce qu’il ne m’a jamais vendu sa vie privée.

Vous êtes en Suisse depuis environ trente ans, et vous semblez toujours étonné, inspiré par ce qui vous entoure…
Quand je lis quelque chose ou que je prends un crayon pour écrire, ma fantaisie est toujours une bonne copine! Et puis il y a ce rendez-vous qu’est le public. Ce désir d’aller vers quelqu’un à qui je veux du bien et à qui je veux raconter une histoire. L’expérience de baby sitter, que j’ai connue à Paris, continue… Sauf que les enfants sont devenus adultes. La Suisse, plus que le pays de ma naissance, aime les histoires. Le Suisse aime raconter ses tours à vélo, ses promenades… On le croit silencieux et timide, mais non, il est verbal et il aime encore le bouche-à-oreille.

La Tour-de-Trême, salle CO2, jeudi 13 septembre, 20 h 30. Réservations: Office du tourisme de Bulle, 026 913 15 46 et www.labilletterie.ch

 

 

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